Le Décret de l’Éducation Permanente: un trésor unique au monde.
L’été est passé et les élections de juin dernier semblent déjà loin alors que les scrutins des communales et provinciales d’octobre approchent. Au niveau fédéral, l’accord entre les partis élus n’a pu encore être trouvé. Au sein des régions et des communautés, seule la Wallonie dispose de gouvernements qui ont publié leurs déclarations politiques. Les engagements pris par la majorité questionnent l’ensemble des politiques publiques et l’éducation permanente n’y échappe pas. Si le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles «entend soutenir l’éducation permanente», il s’engage aussi à «moderniser les procédures d’évaluation et d’y intégrer les principes de bonne gouvernance repris dans le décret « Nouvelle Gouvernance Culturelle« ». Que faut-il en comprendre? Y a-t-il des craintes à avoir dans le chef des associations reconnues en éducation permanente?
Nous en avons discuté avec Ariane Estenne, Présidente du Conseil Supérieur de l’éducation permanente (CSEP) et par ailleurs Présidente du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC).
Pour une société plus critique, plus juste et plus inclusive.
L’éducation populaire permet la critique constructive des institutions et la valorisation d’une citoyenneté active, engagée et éclairée. Elle participe continuellement au renforcement de la démocratie sociale et culturelle.
Elle s’incarne dans le décret relatif au développement de l’action d’Education permanente dans le champ de la vie associative. Il est une véritable pierre angulaire du système culturel et démocratique du pays. « Ce texte législatif, issu du contexte culturel d’après-guerre, est un trésor, un patrimoine unique au monde, mais aussi un investissement collectif qui témoigne de l’importance accordée à la démocratie culturelle, souligne Ariane Estenne. Au-delà de la démocratisation de la culture qui entend faciliter son accès, ce décret favorise l’épanouissement d’une démocratie sociale et culturelle qui permet de nourrir le débat public, de développer l’esprit critique, et de garantir la participation active des citoyens et citoyennes dans la vie de la société. »
Ce qui rend aussi ce décret exceptionnel, c’est son mode de financement: structurel! Ce type de financement permet de soutenir des processus collectifs sur la durée. Ceci est fondamental dans le travail d’émancipation collective que réalisent les associations reconnues. L’évaluation de ces processus s’appuie également sur les capacités critiques de ces dernières. En ce sens, le mode de financement de l’éducation permanente n’est pas régi par des logiques d’appels à projets axées sur les résultats chiffrés. «Une autre singularité/originalité du décret en éducation permanente est qu’il soutient, y compris financièrement, la liberté des associations à débattre des choix politiques, sociaux et économiques ainsi qu’à critiquer l’ordre établi. L’Etat belge finance finalement des associations afin qu’elles puissent poser une réflexion politique sur son fonctionnement» précise Ariane Estenne. «C’est une force et une richesse qui témoignent de la profondeur de la démocratie belge.»
Ce décret apparaît donc comme primordial dans la préservation et le développement du débat démocratique. «Il fait vivre une démocratie sociale et culturelle qui donne toute sa légitimité à la démocratie politique» ajoute Ariane Estenne.
Un décret qui participe à la liberté et à l’autonomie associative.
Le décret en éducation permanente joue un rôle essentiel dans la garantie de l’autonomie associative. «Il convient de distinguer la démarche d’éducation populaire du secteur de l’éducation permanente. De nombreuses associations ne sont pas reconnues en éducation permanente mais la mettent en œuvre dans leurs pratiques. Le titre du décret depuis la réforme de 2018 souligne d’ailleurs qu’il vise le développement de l’éducation permanente dans le champ associatif. Le champ associatif est hétérogène et divers mais il est basé fondamentalement sur l’autonomie associative défendue par l’éducation permanente comme secteur» insiste Ariane Estenne.
«Cette autonomie permet au réseau associatif d’exister et d’être présent comme une voix à part entière dans le débat public. Face à la montée des extrêmes et à l’appauvrissement du débat public, notamment sur les réseaux sociaux, les associations créent et maintiennent des espaces où les conflictualités peuvent s’exprimer, se délibérer et s’arbitrer « en réactivant le sens commun”» comme l’indique Ariane Estenne qui reprend ici les mots de la philosophe Isabelle Stengers. Les associations représentent un rempart contre les extrêmes. Il est renforcé par la reconnaissance et le financement de l’éducation permanente par l’Etat. En France, par exemple, des études ont démontré que la disparition des services publics et les déserts associatifs conduisent à la montée de l’extrême droite. En Belgique francophone, la richesse du maillage associatif permet encore de contrer ces tendances en offrant des lieux de débat et de réflexion. L’éducation permanente, par son approche et sa démarche, y contribue grandement en assurant la confrontation d’opinions et d’arguments divers.
Une Déclaration de Politique Communautaire qui indique évaluer le décret et son application.
A propos de l’évaluation du décret prévue dans la Déclaration de Politique Communautaire, Ariane Estenne rappelle que «l’évaluation du décret de l’éducation permanente est un processus constant prévu dans le décret, qui rassemble et implique de nombreux acteurs dont le CSEP». Dans ce cadre, L’Observatoire des politiques culturelles joue un rôle clé en pilotant chaque évaluation et en réunissant tous ces acteurs pour réfléchir à l’évolution du décret.
Il est crucial de continuer à reconnaître et soutenir les associations actives, qui font vivre l’éducation permanente et le décret, tout en restant attentif aux évolutions politiques en la matière. Le décret offre un cadre légal solide qu’il est impératif de préserver et de développer. Il garantit une vision de société ouverte, émancipatrice et démocratique qui ne doit pas être compromise.
«En ce sens, le décret sur l’éducation permanente est non seulement un outil politique, mais aussi un symbole de la démocratie belge. Les enjeux actuels, marqués par la montée des extrêmes et la fragmentation du débat public, rendent plus que jamais nécessaire la défense et le développement de cet acquis précieux» conclut Ariane Estenne.
L’éducation permanente, pour quoi? Alors que c’est inscrit dans l’ADN de SAW-B depuis 40 ans, le fait qu’une fédération d’entreprises sociales s’inscrive dans le cadre de l’éducation permanente étonne encore. Explications ici.
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