EDITO – Un omnibus peut en cacher un autre! La Commission européenne et l’Arizona tirent sur nos droits.

Imaginez, vous êtes devant le panneau d’affichage à la gare centrale. Entre le flux de voyageurs, le bruit incessant des chaussures qui claquent sur le carrelage, les annonces d’arrivée, de départ, d’arrivée. Le premier train à destination de Namur est en approche, mais votre regard est attiré par la petite lettre au bout de la ligne « S ». Aïe! Un omnibus. Ce qui allonge d’office votre temps de trajet. Vous remarquez quelques lignes plus bas, un autre train pour Namur, départ dans vingt minutes. Cette fois-ci, c’est un IC, il ne desservira que quelques gares et vous arriverez plus rapidement à destination. L’hésitation est courte et vous optez pour ce dernier, impatient·e d’arriver à destination. Vous montez dans le train, satisfait·e de votre choix, mais, à peine franchie la gare de Bruxelles-Schuman, vous entendez ce message « En raison d’un problème sur la ligne, ce train desservira toutes les gares jusque Namur ». Parti·e plus tôt, vous arriverez plus tard. Vous pensez peut-être à la fable du lièvre et de la tortue, mais cela ne changera rien: vous serez en retard.
Vous vous demandez pourquoi cette petite histoire à la fin bien énervante? C’est pour vous parler de deux réalités politiques qui remettent en cause des droits importants acquis au fil des années et des luttes. A côté de ces choix politiques, votre problème de train, bien que métaphoriquement pertinent, semble une musique douce et amusante.
La Commission européenne a présenté récemment la « directive Omnibus ». En une seule proposition, plusieurs textes fièrement adoptés lors de la législature précédente vont être révisés (devoir de vigilance des multinationales (CSDDD), reporting extra-financier des entreprises (CSRD), taxonomie verte, taxe carbone aux frontières…). Ces textes obligeaient les entreprises à intégrer des préoccupations en matière de droits humains et sociaux, d’environnement. Il s’agissait là de mesures nécessaires, même si elles étaient bien insuffisantes face aux dérèglements climatiques et aux dépassements des limites planétaires, devant le bafouement fréquent de droits essentiels dans de nombreux pays et par de nombreuses entreprises[1]. En gros, avec cette directive, la Commission veut renforcer les permis de polluer, d’exploiter, de contraindre et de vendre à moindre coût sans aucune préoccupation pour la planète et toutes les espèces vivantes qui y habitent. Evidemment, nous devons attendre le vote de ce texte au Parlement européen mais c’est une marche en arrière sous la pression conjuguée des lobbys des multinationales industrielles et d’une présidence américaine qui joue à la roulette russe avec tout ce qui n’est pas dans les intérêts de quelques-uns. Même s’il existe encore une marge pour peser sur nos parlementaires européens pour qu’ils refusent de voter cette directive et qu’ils empêchent de détruire des législations essentielles.
A côté de cet omnibus affiché et assumé en toutes lettres, il existe des omnibus bien plus pernicieux. Ils n’exhibent pas leurs prétentions et leurs aspirations, mais le résultat est au final le même, voire pire. Là, c’est de l’Arizona dont on parle. A aucun endroit dans l’accord de gouvernement fédéral nous ne lisons que le gouvernement va détricoter des droits des femmes. C’est seulement en analysant les conséquences des choix posés qu’on découvre les vices cachés, les attaques dissimulées, les régressions. Même si quelques propositions sont formulées pour prendre en compte la situation des familles monoparentales, ces mesures seront contrecarrées par toutes les autres décisions qui vont toucher ces femmes qui composent la très grande majorité de ces familles monoparentales. Ce n’est qu’un arbre qui cache la forêt et un emplâtre sur une jambe de bois.
L’accord du gouvernement Arizona ne cible pas spécifiquement les droits des femmes, mais par ignorance, par désintérêt ou par irresponsabilité ses membres ne voient pas ou se moquent des conséquences désastreuses de sa politique vis-à-vis des femmes. Les modifications du régime des pensions vont appauvrir d’abord les femmes. La limitation des allocations de chômage va toucher en particulier les femmes, y compris ces femmes qui subissent des temps partiels. Cohabitantes avec souvent un revenu moins élevé pour des raisons avant tout structurelles et liées à une société patriarcale, elles ne pourront bénéficier de revenus de remplacement au CPAS. Davantage en invalidité, notamment parce qu’elles assument des métiers extrêmement pénibles dans le domaine du care par exemple et parce qu’elles cumulent souvent leur emploi avec un second temps de travail à la maison pour la gestion du ménage et l’éducation des enfants, elles souffrent de plus de problèmes de santé au long cours. Si l’idée d’un « sac à dos » lié à l’enfant et non plus aux parents en matière de congés (parentaux, maladies…) pourra être un plus, et cela reste à déterminer, pour les familles monoparentales, les femmes vont à nouveau faire les frais de ces décisions parce que ce sont souvent elles qui prendront les congés puisque leurs revenus professionnels sont moins élevés[2]. A terme, elles auront une pension encore plus petite…
Cet inventaire non exhaustif est déjà une litanie insupportable et ce n’est pourtant que la pointe de l’iceberg qui se dirige droit sur nous. Il est sûr que face à cette menace, nous n’entendrons pas « les femmes et les enfants d’abord »! Certain·es se sont étonné·es de ne pas être les bienvenu·es lors des manifestations du 8 mars en faveur des droits des femmes en pointant une soi-disant gauche bienpensante qui instrumentalise et politise la cause, mais ce sont leurs décisions qui sont une insulte aux droits des femmes.
La photo du gouvernement Arizona est annonciatrice du chemin pris et de la place du point de vue des femmes pour les décisions et les droits qui les concernent.
L’omnibus européen ou le faux omnibus de l’Arizona nous emmènent au même endroit, celui d’une société appauvrie, fragilisée, vendue à la loi du plus fort, du plus riche, du plus pollueur.
Battons-nous, encore, toujours, pour empêcher ces retours en arrière mortifères!
Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be
[1] Dans les exemples récents d’entreprises épinglées pour leur attitude, on peut penser à Decathlon et sa sous-traitance en Chine avec le travail forcé des populations Ouighours https://disclose.ngo/fr/article/decathlon-profite-du-travail-force-des-ouighours-en-chine
[2] Voir le point de vue de la Ligue des familles sur ce sujet La ligue des familles reste assez critique : https://www.lesoir.be/651398/article/2025-01-28/reforme-des-conges-familiaux-le-sac-dos-de-de-wever-fait-deja-du-bruit ou https://liguedesfamilles.be/storage/36671/Accord-de-gouvernement-Arizona—points-d’attention-de-la-Ligue-des-familles.pdf
©fredrik-ohlander pour unsplash
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