INTERVIEW – SOGA: Quand le numérique rencontre l’économie sociale et solidaire.
Depuis 2018, SOGA, Social Good Accelerator, accompagne la transition numérique de l’économie sociale et solidaire (ESS) en Europe. L’association a été fondée par Jeanne Bretécher que nous avons rencontrée pour savoir comment est né cet «accélérateur pas comme les autres». Pour SAW-B, SOGA est aussi un partenaire depuis plusieurs mois dans l’élaboration d’un projet européen sur l’intelligence artificielle générative. C’était une évidence pour nous de mettre en lumière SOGA et Jeanne Bretécher.
«Vous êtes un accélérateur?» Cette question, Jeanne l’entend régulièrement. Et sa réponse est toujours la même: «Pas au sens classique du terme!» Car SOGA ne cherche pas à faire émerger des licornes, ces petites entreprises de la tech en devenir, ou à lever des fonds astronomiques comme un incubateur ou un accélérateur d’entreprises, pour ne pas dire de start-up. L’objectif de SOGA est tout autre: accélérer la transition numérique de l’économie sociale et solidaire.
Social Good Accelerator, ça veut dire quoi ? C’est quoi le lien avec l’univers du numérique?
Le nom même de l’organisation est un clin d’œil assumé. « Tout a commencé à Lisbonne en 2016 lors du Web Summit, événement annuel sur les technologies. On y croisait sans arrêt des accélérateurs de start-up. On s’est dit : pourquoi eux auraient-ils le monopole de ce terme? Nous aussi, on accélère quelque chose: c’est l’intérêt général!» C’est un sacré pied de nez au monde des start-up et à leur quête du profit.
Mais SOGA, c’est quoi?
C’est d’abord un constat. Le numérique est un enjeu stratégique majeur en Europe, les solutions tech se multiplient, mais personne ne pense à accompagner les associations dans leur transition numérique. «C’était un impensé total», se souvient Jeanne. « Ni les mécènes, ni les pouvoirs publics ne proposaient d’accompagnement structurel aux organisations de l’ESS. Et pendant ce temps, un écosystème de start-up sociales commençait à émerger. » Et aujourd’hui, il y a encore beaucoup à faire.
A ses débuts, SOGA a mené une enquête auprès des associations[1] qui va dans le sens de ce manque d’un accompagnement. Cette enquête a démontré que les associations et autres structures de l’économie sociale et solidaire ne veulent pas être dans une logique de dépendance ou de charité envers les acteurs de la tech. Elles ne souhaitent pas se voir forcer d’utiliser des outils ou des compétences numériques qui ne correspondent pas à leurs besoins et à ceux de leurs bénéficiaires. Elles ne veulent pas non plus se voir imposer ou subir les modèles du marché peu ou pas adaptés à leurs missions. Elles recherchent avant tout des partenariats équilibrés avec les acteurs du numérique et plus d’horizontalité en dialoguant et en effectuant un travail commun.
Portrait de Jeanne Bretécher, fondatrice de SOGA
Son parcours: Une dizaine d’années d’expérience dans la conception et la mise en œuvre de projets d’intérêt général en partenariat multi-acteurs, notamment avec de grandes entreprises technologiques. Cette immersion dans le monde tech l’a sensibilisée très tôt aux enjeux du numérique.
Le déclic: En accompagnant des associations dans sa propre structure, elle constate le fossé entre les outils accessibles aux start-up et ceux disponibles pour l’ESS. «Ma grande peur, c’était que les associations soient laissées sur le bord de la route de la transition numérique.»
Sa vision: «Les associations ne veulent pas de charité numérique ou de dépendance. Elles veulent des rapports gagnant-gagnant et horizontaux avec les acteurs de la tech. On peut collaborer, mais pas subir.»
Son quotidien: Entre Lille, Bruxelles et Paris, Jeanne jongle avec les projets européens, le plaidoyer et l’animation de l’écosystème SOGA. Une vie de trains et de rendez-vous, toujours guidée par la conviction que le numérique peut servir l’intérêt général.
Comment SOGA agit?
Pour ce faire, SOGA s’est structurée autour de trois piliers complémentaires que l’association nomme «Voice» (plaidoyer), «Connect» (mise en réseau) et «Learn» (formation). Ce sont quatre personnes salariées qui font vivre ces piliers.
Sur la dimension «plaidoyer», l’association travaille étroitement avec la Commission européenne sur les politiques publiques touchant au numérique et à l’ESS. SOGA veille à ce que les structures de l’économie sociale et solidaire soient représentées dans les consultations majeures notamment au sein de l’IA Act, du Data Governance Act ou encore du Plan d’action européen pour l’économie sociale.
Sur la dimension de mise en réseau, SOGA propose de multiples événements rassembleurs dont celui du «Numérique en commun(s)» – NEC – organisé chaque année au mois de novembre. Le NEC a pour objectif de promouvoir l’économie sociale et solidaire numérique en fédérant les acteurs européens de l’écosystème de l’ESS. C’est un événement phare de SOGA qui permet de créer des espaces de dialogue entre praticiens, acteurs de terrain, chercheurs et décideurs.
Enfin, sur la dimension de la formation, SOGA développe depuis 2022 des outils de formation open source destinés aux accompagnateurs. «Avec nos quatre salariés, on ne peut pas déployer tous les accompagnements nous-mêmes. Mais on peut outiller ceux qui sont sur le terrain», explique Jeanne.
Le défi du numérique accessible
L’un des grands défis identifiés par SOGA? Rendre le numérique vraiment accessible aux associations sans les faire tomber dans la dépendance des grandes plateformes de la Silicon Valley.
Deux modèles coexistent aujourd’hui. D’un côté, les solutions propriétaires proposées à prix réduit via des plateformes comme Solidatech, TechSoup en France ou encore Social Ware en Belgique. «Ces guichets uniques ont permis à beaucoup d’associations d’accéder à des outils comme Google Workspace ou Slack à des tarifs abordables», reconnaît Jeanne.
De l’autre, il y a le modèle du logiciel libre, porté par des coopératives et entreprises de l’ESS. Mais ces solutions se heurtent à deux obstacles majeurs: «Souvent, les outils libres ne sont pas très faciles à utiliser. Ils ont un design simple, ce qui rend leur approche encore plus compliquée. Et puis leur modèle économique demande un investissement initial pour leur implémentation que les associations n’ont pas toujours.»
La piste explorée par SOGA? Les communs numériques. «Si l’ESS représente 10 à 14% des emplois en Europe, ça constitue un marché. En mutualisant les besoins par branche professionnelle et en co-construisant des solutions, on peut répartir l’effort financier tout en développant des outils vraiment adaptés à l’ESS.»
Des Cafés de l’IA pour entretenir l’idée de communs numériques
L’approche collaborative, couplée à la volonté de mener un débat démocratique sur les outils numériques – notamment ceux de l’intelligence artificielle (IA) – s’est ancrée dans de multiples projets et notamment celui des Cafés IA . Cafés IA dont SAW-B est partenaire, ainsi que FARI qui un institut interuniversitaire (ULB-VUB) qui vise à développer, étudier et favoriser l’adoption et la gouvernance des technologies de l’IA, des données et de la robotique d’une manière digne de confiance, transparente, ouverte, inclusive, éthique et responsable.
C’est quoi les Cafés IA?
Les Cafés IA sont des rencontres qui visent à renforcer le rôle des associations comme corps intermédiaires du numérique, organisations qui font le lien entre les citoyens et l’Etat, pour qu’elles puissent peser dans la transition numérique. Ces Cafés permettent aussi de former les acteurs de l’ESS aux compétences numériques citoyennes, en leur donnant les clés pour comprendre et utiliser l’IA de manière éthique et adaptée à leurs missions. Témoignages, ateliers, réflexion, ces cafés ont pour but de vous donner la parole en tant qu’acteurs de l’économie sociale et solidaire.
Jeanne précise que « le format des Cafés existait avant qu’on crée notre projet. On ne cherche jamais à concurrencer nos membres ou les initiatives existantes. On se rattache aux bonnes pratiques et on essaie de combler les trous dans la raquette. C’est pourquoi on a voulu continuer l’expérience en s’associant avec SAW-B et FARI. » C’est une collaboration naturelle pour SOGA qui, depuis ses débuts, cherche à construire un modèle numérique européen « solidaire, durable, accessible à toutes et à tous ».
Organisés par SOGA, SAW-B et Fari, ces Cafés débuteront en mars 2026 en Belgique et en France et se termineront en juillet! Suivez nos prochaines actus pour connaître les dates et lieux précis et n’hésitez pas à nous écrire si vous souhaitez déjà vous inscrire!
En savoir plus sur SOGA : soga.coop
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Portrait de Jeanne Bretécher, fondatrice de SOGA


