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Edito – Boycotter ou pas le mondial? Telle est la question.

Edito_sept2022

Dès l’attribution du mondial de football au Qatar, des voix se sont élevées pour dénoncer ce choix. Elles ont accentué la pression et sont montées en octave face aux conditions inhumaines de travail et aux milliers de morts sur les chantiers de stades hors normes. L’esclavage moderne des ouvriers se combine à une architecture écologiquement détestable et catastrophique pour la planète avec des stades climatisés pour offrir des températures supportables pour les joueurs alors qu’on est au milieu du désert. Le tout, dans un pays connu pour s’affranchir des principes d’égalité entre hommes et femmes, pour son obscurantisme religieux et ses attaques en règle contre les personnes LGBTQI. Mais la manne pétrolière vomit son argent sale sur les mains occidentales et footballistiques pour réduire à néant toutes les velléités de protestation un peu sérieuses. Tout ça dans un contexte mondial où les effets des dérèglements climatiques ont pris une ampleur inégalée et où les prix de l’énergie atteignent des sommets.

Bref, rien ne va dans l’organisation de ce mondial !

  • Donc, boycott?
  • Euh, je ne sais pas.
  • Comment tu ne peux pas savoir après tout ce que tu viens de dire?!

C’est un peu le dialogue interne qui tourne dans mon cerveau en voyant se multiplier avec force les appels au boycott du mondial.

 

Imaginez (c’est ironique), même des sponsors ont décidé de ne pas envoyer leurs clients au mondial. Carrefour, ING, Ab-Inbev… Toutes ces entreprises qui découvrent tout d’un coup qu’il y a des êtres humains qui sont morts pour qu’on s’amuse devant un ballon qui tourne entre 22 joueurs (dont certains, milliardaires). Si ça ce n’est pas un signal!

 

Mais quand je vois le mot boycott, j’ai toujours une petite sonnette qui s’agite. Qui ça aide si je boycotte? Est-ce que ce message va toucher les bonnes personnes? Est-ce que j’aide les victimes? Est-ce que le boycott a les mêmes conséquences pour tous? Pourquoi boycotter ceci et pas cela ? Pourquoi boycotter aujourd’hui alors que les ouvriers sont morts et que la pollution est déjà bien là?

S’en prendre au foot, c’est aussi simple et facile que de s’en prendre au rap.

  • masculin par excellence (les hommes savent pourquoi).
  • populaire et pratiqué de par le monde parce que demandant peu d’infrastructures et peu de moyens aux joueurs (c’est rarement l’équitation ou le tennis qui sont vilipendés).
  • accessible facilement où les joueurs de couleurs sont nombreux (trop aux dires de certains supporters racistes et d’autres aussi).
  • qui suscite une intense ferveur inégalée et incompréhensible pour nombre d’entre nous.
  • sport de pognon où les joueurs perçoivent des sommes mirobolantes et insultantes, où les magouilles et les paris rapportent beaucoup d’argent à toute une clique de moustiques qui tournent autour.

Les conditions sont réunies pour être une cible facile. Il est bien plus facile de s’en prendre aux rires de Kylian Mbappé – qui a prouvé de nombreuses fois ses engagements sociaux notamment sur les sociétés de paris qui sont une catastrophe humaine, encore plus dans les quartiers populaires – que de s’en prendre au Cercle de Wallonie qui organise prochainement une visite-conférence à près de 80€ pour faire découvrir l’univers des jets privés[1].

 

C’est sûr que la ferveur est moins grande aussi quand on propose de boycotter au hasard le pétrole du Qatar et de Total, les produits Zara, Nike, Apple, Google fabriqués dans les usines où sont exploités des Ouighours, les sandales Birkenstock, les produits Sephora, le champagne Veuve Cliquot (qui appartiennent au groupe LVMH) de Bernard Arnault, la viande provenant de l’agriculture intensive, les supermarchés.

Les boycotts, c’est aussi une histoire de sélectivité, de choix possibles, d’alternatives, de dépendance. Quand on choisit de boycotter le mondial, on sait qu’on passera ses soirées au théâtre, à une activité de l’économie sociale, à une réunion associative ou politique, au cinéma, au bar à vin, à un concert, on sera probablement entouré de personnes qui font le même choix que nous, dans un cadre professionnel où ne pas regarder le foot est fréquent voire bien vu. On aura des moyens de se divertir de mille autres façons, sans que cela n’affecte grandement notre quotidien, l’image qu’on renvoie aux autres et le sentiment d’appartenance à un groupe.

 

Le choix de boycotter ou non le mondial, a-t-il les mêmes conséquences pour tous et toutes?

Panem et circences… Du pain et des jeux… Depuis la Rome antique, les choses ont peu changé. A l’heure où nombre de personnes ne savent pas si elles auront encore du pain ou du chauffage pendant le mondial, il ne restera peut-être que cet événement pour offrir de la chaleur humaine, du plaisir, de la détente, de l’évasion.

 

Boycotter ou pas ? C’est à chacun-e de choisir. Et nous serions bien mal avisé·e·s de juger.

 

Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be

[1] Si vous voulez en profiter pour écrire au cercle de Wallonie pour dénoncer ce choix, n’hésitez pas https://www.cercledewallonie.com/contact

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