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Edito – Excell-isation de l’économie sociale.

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Dans notre édito du mois de décembre, nous évoquions avec vous les évolutions nécessaires dans les écoles de gestion face aux défis sociaux, économiques, environnementaux qui traversent notre société. Il importe cependant de rendre à César ce qui est à César, d’assumer nos responsabilités : les écoles de gestion sont le reflet de ce qu’il se passe dans les entreprises, les administrations et, aussi, les associations et entreprises d’économie sociale.

 

Depuis de très nombreuses années, l’économie sociale s’est professionnalisée et se professionnalise toujours. C’est un chemin très largement emprunté. Cette professionnalisation concerne toutes les entreprises sociales et associations dans leur chemin d’évolution lorsqu’elles prennent de l’ampleur, s’inscrivent dans une perspective plus large parce qu’elles sont reconnues ou qu’elles cherchent à l’être. Cette reconnaissance est la voie la plus « naturelle » pour accéder à des subsides, à l’intégration dans des projets collectifs, au développement de son activité.

 

Mais cette professionnalisation n’est pas sans risque. Et, aujourd’hui, elle s’inscrit pleinement dans une capacité à être définie comme « une bonne gestionnaire », à adopter les codes et les outils issus des écoles de gestion, des modèles des entreprises classiques.

 

Démarche qualité, ISO, labélisation, reporting, MBTI, gestion des ressources humaines, CRM, excell-isation, Trello, Notion, Diagramme de Gantt, SWOT, Slack, culture d’entreprise, objectifs, opérationnel, efficacité, rentabilité, performance, rationalité…

 

Ces mots, nous les entendons tous les jours, dans les couloirs et les réunions de l’économie sociale. Nous les utilisons nous-mêmes. Nous n’imaginons même plus comment faire sans ces mots, sans ces outils, sans ces pratiques de gestion. Ce ne sont pas que des outils ou des mots auquel nous nous soumettons, c’est aussi toute notre manière de penser et de voir notre travail qui peut être interrogée. L’école de gestion n’est pas ce « eux » que nous pouvons montrer du doigt, c’est tout ce que « nous » avons intégré, accepté, parfois de mauvaise grâce.

 

Combien de burn-out, de travailleurs et travailleuses déçu·es, lessivé·es après avoir usé leur engagement dans des associations et dans des entreprises sociales qui adoptent ce modèle de gestion mortifère pour la planète et pour les organismes vivants ?

 

Si nous voulons aller au bout de notre critique de la manière dont les écoles de gestion n’intègrent pas les défis actuels, nous devons avoir l’honnêteté de regarder nos propres pratiques professionnelles, en tant que structure, bien sûr, mais aussi à un niveau micro, individuel. Bref, nous regarder dans le miroir et interroger nos attentes, nos besoins rapides de retours sur investissement quand nous participons à une formation, une conférence, quand nous attendons que notre structure pose des cadres, des codes, des objectifs clairs sans qu’on ne s’implique pleinement dans leur définition.

 

La mission de transformation sociale de l’économie sociale repose aussi sur ses travailleurs et travailleuses qui peuvent et doivent sans cesse être en appui de leurs structures. Ils et elles incarnent les valeurs de l’ES en interpellant leurs structures, en soutenant les propositions d’approches différentes ou les questionnements sur leurs pratiques, en innovant dans la capacité à suggérer et construire d’autres manières de se professionnaliser sans recourir nécessairement aux outils, aux codes et aux langages de la « bonne gestion ». Car, plus que jamais, « la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence »[1], la finalité sociale et solidaire de nos projets ne peut être dissociée des moyens pour la servir.

 

Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be

[1] SAW-B travaille depuis plus d’un an avec d’autres structures d’économie sociale sur une recherche-participative sur le thème « une autre gestion est possible ». C’est notamment Philippe Eynaud qui nous a mis sur cette piste, lui qui cite cette phrase de Gandhi en exergue de son livre Solidarité et organisation : penser une autre gestion, aux Editions ERES.

© Carlos Muza pour Unsplash.

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