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EDITO – Moins de droits, plus d’inégalités: bienvenue dans l’ère du recul.

©BoliviaInteligente_Unsplash

On nous avait annoncé un gouvernement d’ingénieurs, mais ce que nous avons, c’est plutôt un gouvernement de joueurs de casinos, misant tout sur l’idée que les inégalités amèneront de la richesse et que le bâton est le meilleur moyen d’organiser les choses. Les preuves scientifiques de l’inefficacité de cette approche sont nombreuses et, pourtant, c’est cette stratégie qui est mise en avant.

 

Prenons l’exemple de ce qui vient de se passer à Anderlecht[1] : la seule réponse annoncée, c’est la répression, or il n’y a aucune preuve que cela fonctionne. Aucun pays ayant appliqué cette méthode n’a obtenu de résultats concluants. Par ailleurs, il est prouvé qu’une approche s’appuyant sur la prévention, sur la lutte contre l’exclusion, qui redonne de l’espoir à des jeunes – souvent instrumentalisés et constituant la base de la pyramide du trafic de drogue – donne de meilleurs résultats[2]. Mais non, on ne nous parle que de répression.

On peut bien sûr pointer l’Arizona en se disant que ça ne va pas, mais le problème est beaucoup plus large et on ne doit pas nier la réalité. Ce qui se passe aux Etats-Unis actuellement dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer. Se dire que Trump est fou est bien insuffisant au regard de ce qu’il fait. Prenons l’exemple de Gaza dont il propose de faire la riviera du Moyen-Orient, en déplaçant ses habitants, les Palestiniens. Cela correspond à un déplacement forcé, une déportation, et est clairement un crime contre l’humanité au regard du droit international. Ou bien encore, Musk et son appropriation de l’administration publique américaine, la liquidant comme une entreprise. Dans l’un et l’autre cas, les deux hommes, occupant de hautes fonctions publiques, ignorent allègrement, et ouvertement, les limites juridiques, constitutionnelles et légales existantes.

 

La situation aux Etats-Unis est la démonstration la plus forte de l’abandon de la référence à l’Etat de droit[3], quand l’extrême-droite accède au pouvoir par les urnes[4]. La politique mise en place par l’Arizona n’est pas en reste, notamment en matière d’asile et de migration. Cette politique, qu’on peut renommer « politique de l’exclusion », équivaut, non pas à celle des Pays-Bas ou même de l’Italie qui sont des pays dirigés en partie par l’extrême droite, mais correspond à la politique de la Hongrie. Ce pays a été condamné à de nombreuses reprises pour ses attitudes contraires aux droits de l’Homme et à la politique européenne. Là encore – alors que la Belgique a, elle aussi, été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme et par ses propres tribunaux des milliers de fois -, le nouveau gouvernement s’assied sur ses obligations et remet doublement en cause les principes de l’Etat de droit. D’une part, le pouvoir exécutif ne se soumet pas aux condamnations du pouvoir judiciaire et, d’autre part, le pouvoir exécutif contrevient à la hiérarchie des normes (qui place le droit européen, ou les conventions internationales, au-dessus du droit national).

La politique annoncée dans l’accord de gouvernement fédéral est une copie de ce qui s’est fait ailleurs avec des résultats plus que mitigés. En France, la politique de Sarkozy ou de Darmanin en matière de sécurité n’a fait qu’aggraver les problèmes, notamment dans les banlieues, ou en matière de lutte contre le trafic de drogue. La politique de l’offre mise en place par Macron et ses logiques de réduction des impôts pour les entreprises et les grosses fortunes – en croyant que le ruissellement amènerait beaucoup de recettes – ont conduit à une aggravation du déficit public.

Ni croissance – et encore faudrait-il se pencher sur cette notion-, ni amélioration de la démocratie, ni diminution des inégalités et de la pauvreté, n’ont été au rendez-vous des pays européens ayant précédé la Belgique sur ces voies.

 

On ne vivra pas mieux parce que notre voisin chômeur va être exclu. On ne vivra pas mieux parce que la personne sans-papier qui cueille nos pommes et nos poires dans les vergers sera encore plus exploitée par son patron. Et on ne vivra certainement pas mieux, parce que le programme de l’Arizona s’attaque frontalement aux droits sociaux et aux droits humains, avec des conséquences encore plus violentes pour les femmes. Et derrière tout cela, aucun projet socio-économique ne se dessine dans cet accord fédéral : aucune proposition sur comment créer de l’emploi ou la manière d’affronter les dérèglements climatiques. Cette absence de projet est, en réalité, un projet en soi : une déconstruction de l’Etat social et de l’Etat de droit.

Bart de Wever a comparé l’accord à son régime, affirmant que c’était dur, mais possible. Sauf que lorsque quelqu’un fait un régime c’est, entre autres, pour améliorer sa santé. Les sacrifices demandés ici sont pour aller vers un pire. Avec cet accord de gouvernement, l’ensemble de la société est mise à mal et les plus faibles sont mis au ban. On nous propose une rupture pour un moins bien: limiter les droits, faire marche arrière sur les droits des femmes, aggraver les problèmes de pauvreté, d’inégalités, de chômage et d’exclusion. C’est le pari du gouvernement, et nous en paierons lourdement le prix.

 

Nous devons réagir collectivement, car tout pays qui réduit les droits sociaux et augmente les inégalités, est un pays où on vit moins bien[5].

 

Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be

[1] Une prise de position parmi d’autres sur les fusillades à Anderlecht https://www.sudinfo.be/id949380/article/2025-02-05/la-vermine-gangrene-georges-louis-bouchez-reagit-la-fusillade-la-kalachnikov

[2] Pour des ressources sur ce sujet, vous pouvez consulter le site internet de la version du belge de la campagne internationale pour une plaidoyer en faveur de politiques en matière de drogues fondées sur la promotion de la santé et le respect des droits humains https://www.supportdontpunish.be/fr/ressources/

[3] https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Projet_2025

[4] Sur ce qu’est l’Etat de droit, lire : https://www.crisp.be/2025/02/letat-de-droit-une-notion-a-geometrie-variable/ et https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/AL2024-08.pdf

[5] Lire la belle démonstration de cette réalité dans le livre « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous » https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/118-pourquoi-l-egalite-est-meilleure-pour-tous.html

©Un trou noir par BoliviaInteligente_Unsplash

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