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INTERVIEW – Quatre-quarts, un tiers-lieu avant l’heure.

Quatre-quarts, tiers-lieu

La coopérative Quatre-quarts a vu le jour il y a 10 ans, portée par trois jeunes entrepreneuses audacieuses: Laurence, Pauline et Valérie. Leur ambition? Créer un lieu qui mêlerait produits locaux, culture, ateliers citoyens et démocratie, tout en donnant du sens à leur travail. Ce qu’elles ne savaient pas à l’époque, c’est que ce projet allait donner naissance à un véritable tiers-lieu, un concept alors peu connu. Retour sur cette aventure passionnante avec Valérie, dans l’ambiance conviviale et décontractée de l’ancienne gare de Court-Saint-Etienne, qui abrite le «Quatre-quarts» depuis ses débuts.

 

D’où est venue l’idée et comment Quatre-quarts est-il devenu un acteur citoyen majeur à Court-Saint-Etienne?

Au départ, Laurence et moi étions dans une situation similaire dans nos vies professionnelles. Moi, je travaillais dans une entreprise d’événementiel bien connue du Brabant wallon, mais je ressentais un besoin de changement: plus d’humain, plus de sens, plus de social. Un soir, en arpentant un marché de Noël, une idée folle a germé : pourquoi ne pas créer notre propre entreprise? Deux semaines après, on se retrouvait pour concrétiser ce rêve. Ce n’était pas juste une idée en l’air, c’était sérieux. On s’est alors mise à explorer des lieux inspirants, comme «La Tricoterie», qui venait de se lancer. C’est à ce moment-là que Pauline a rejoint le projet. Pendant deux ans, on a été accompagnées par une agence-conseil pour en peaufiner chaque aspect. Dès le début, l’objectif était clair: on voulait un modèle coopératif et une vraie implication citoyenne! On voulait que ce lieu soit un espace de vie et d’action pour les citoyens, par les citoyens. Peu à peu, ce projet qui semblait un peu fou est devenu de plus en plus concret. Il fallait maintenant un lieu. Un jour, en passant devant l’ancienne gare abandonnée, j’ai eu un flash : ce bâtiment serait parfait pour notre projet! Après avoir frappé aux portes de la Commune et de la SNCB, c’est le gestionnaire des bâtiments de la SNCB qui a vu le potentiel et a soutenu notre projet. Après un premier contrat temporaire, nous avons resigné un bail jusqu’en 2030 – et élargi avec d’autres acteurs les activités dans l’ancienne gare, notamment Agricovert qui y a ouvert un magasin. Depuis, notre projet semble avoir inspiré la SNCB, car on voit aujourd’hui de plus en plus d’appels à projets pour d’autres gares abandonnées ! En juin 2015, la coopérative Quatre-quarts était lancée, et le lieu ouvrait ses portes…

Avec le recul, j’identifie trois éléments clés qui ont permis à Quatre-quarts de se développer et de fêter ses 10 ans! D’abord, l’accompagnement de Crédal, qui a été fondamental. Au-delà des aspects techniques et de gestion, ce fut surtout un travail sur nous-mêmes qui a fait la différence. Identifier nos complémentarités, nos forces et nos faiblesses a créé une confiance solide entre nous, une capacité à se dire ce qui va ou ne va pas et cela a renforcé notre solidarité. Ensuite, il y a eu le choix de faire de Quatre-quarts un projet citoyen et donc de le faire vivre sur la base des principes coopératifs. Bien que nous en soyons à l’origine, il fallait que le projet soit porté par des citoyens, en gouvernance partagée, devenant ainsi un véritable terreau d’initiatives. Enfin, en 2015, la sortie du film «Demain» a exalté le désir d’engagement, soutenu l’émergence d’initiatives citoyennes et de transition… Et Quatre-quarts était là, prêt à accueillir cette envie d’actions concrètes, locales et qui donnent sens.

 

Que représente Quatre-quarts 10 ans après?

Ce qui est génial, c’est que, même après dix ans, Quatre-quarts reste fidèle à ses valeurs et à sa vision! Mais avec une stabilité accrue, une organisation solide et une diversification des activités. La reconnaissance a été au rendez-vous, avec des prix comme le «Prix de l’Économie Sociale» et des subventions «Tiers-lieu», sans oublier la création d’emplois locaux qui font sens. Aujourd’hui, la programmation de Quatre-quarts est riche et variée. Si au départ, nous voulions une certaine mixité des publics, nous avons vite constaté que chaque groupe a ses attentes spécifiques. Et, à Court-Saint-Etienne, de la diversité on en a! Mixer les publics est sans doute trop ambitieux mais ce qu’on fait vraiment bien, c’est encourager la rencontre entre ces publics, les faire se croiser dans ce même lieu. À tout moment, on peut croiser des groupes de préparation pour un festival de musique, les participantes au «tricot papote», l’écrivain public, des travailleurs en co-working, des gens qui viennent pour manger ou juste consulter des journaux. Le mardi soir, c’est l’effervescence du «Resto solidaire – Talapatat» où chacun participe à sa manière, en créant du lien lors de la préparation du repas pour les uns, en servant les plats pour d’autres ou encore simplement en partageant le repas. Même moi qui suis stéphanoise, si je connais autant de monde dans le village – et surtout autant de personnes de milieux différents – c’est grâce à la programmation et au public diversifié de «Quatre-quarts». Cette diversité est l’un des plus grands succès de Quatre-quarts: ouvrir le lieu à tous, des plus jeunes aux plus âgés, des plus fragiles aux plus solides. Cela a été rendu possible grâce à notre collaboration avec des associations locales: le Centre Culturel, la Maison Médicale, l’AMO «La Chaloupe», et d’autres encore. Grâce à eux, tout le monde franchit les portes de Quatre-quarts et se sent bienvenu.

Au-delà des multiples activités proposées, le véritable moteur de Quatre-quarts, c’est la création de liens. Les gens viennent ici pour se rencontrer, pour vivre une expérience collective, pour participer à la vie du lieu. Et souvent, cela les pousse à s’engager davantage, à rejoindre la coopérative ou à devenir bénévoles. Ce n’est pas un engagement militant, c’est un désir de vivre autrement, de s’impliquer localement et de créer un monde plus solidaire. Ce qu’on incarne ici, c’est la définition même du tiers-lieu: un espace où les citoyens s’engagent pour un avenir meilleur.

Et, cette volonté de mixité et coopération se traduit dans notre gouvernance. Là où nous avions commencé à trois, nous sommes aujourd’hui à 300 coopérateurs! Le cœur de notre gouvernance est l’assemblée coopérative qui se réunit toutes les six semaines. Ce sont des moments dédiés à la réflexion, à l’échange et à la prise des décisions d’orientation. Au niveau de la mise en œuvre, il y a différents groupes de travail (GT) qui fonctionnent en continu: convivialité, communication, vie du lieu, gouvernance, «bar et cantine». Ces GT mixent les coopérateurs, les bénévoles, les salariés, etc. Et bien sûr, nous avons un Organe d’Administration. Au-delà des statuts, on a tous des engagements et des regards différents mais on est tous là pour faire vivre «Quatre-quarts»!  Cette organisation de notre gouvernance est précieuse pour rester pro-actif, s’adapter aux évolutions, s’ouvrir à d’autres idées et ne pas rester dans un entre-soi qui nous scléroserait irrémédiablement.

 

Quel avenir pour Quatre-quarts dans 10 ans?

Dans 10 ans, j’espère que Quatre-quarts restera fidèle à son essence, tout en évoluant! Comme au cours de ses dix premières années, la nature du projet restera la même, mais ses activités s’adapteront aux nouvelles réalités, aux nouveaux besoins, aux nouvelles envies. Dans un monde de plus en plus morose, replié sur lui-même, je suis persuadée de l’importance des lieux comme Quatre-quarts qui sont essentiels pour faire bouger les choses «par le bas», pour alimenter les résistances contre les rétrécissements de pensée. Ces lieux sont des havres d’espoir, d’humanité et de solidarité. Ce sont des lieux où l’on est vigilant face aux dérives autocrates, où l’on défend et fait vivre un monde plus inclusif. Il se dit que dans les nuées d’étourneaux qui dessinent des vagues dans le ciel se sont les extrêmes qui font bouger le centre… Quatre-quarts, c’est un peu cela.

Pour tout savoir de Quatre-quarts: https://quatrequarts.coop/

©Quatre-quarts.

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