INTERVIEW – La Samaritaine, un lieu de liens sociaux et de résistance.

La rue de la Samaritaine, située au cœur du quartier des Marolles à Bruxelles, fait le lien entre ce quartier populaire et celui du Sablon. C’est ici qu’à la fin des années 80, le «Comité de la Samaritaine» a vu le jour, un collectif de résistance formé par les habitants face à l’injustice. Pour vous en parler, nous avons rencontré Ingrid Payan, la coordinatrice de l’association.
Comment est née «La Samaritaine»?
Tout a commencé lorsque la Ville de Bruxelles a décidé d’expulser de nombreux locataires en raison de l’insalubrité de leurs logements. Les habitants, choqués par cette décision, ont organisé «l’opération matelas»: tous ont dormi dans la rue pour protester. Ils dénonçaient l’injustice de cette situation, car les locataires n’étaient en rien responsables de l’état de leurs logements, mais plutôt les propriétaires, qui négligeaient leur entretien, ne faisaient aucun investissement pour garantir – même pas le confort nécessaire – mais la salubrité du logement qu’ils louaient. Plus que cela, les expulser revenait à briser une identité, un lieu de vie, les liens sociaux tissé au sein du quartier. Face à la mobilisation, la Ville a organisé une rénovation, réhabilitant 80 logements sociaux. Mais le Comité a continué à œuvrer, mettant en place des actions sociales dans le quartier sur la base de l’engagement des habitants et de quelques dons. Puis des aides privées et la reconnaissance de la Ville et du CPAS sont venues pour accompagner les habitants dans leur relogement et ont permis au Comité de structurer son action. Pour nous, cet équilibre entre les ressources propres et les subsides est précieux. D’un côté, l’esprit d’entraide et de réciprocité est préservé – chacun trouve sa place – et d’un autre, La Samaritaine s’est professionnalisée en engageant d’abord un travailleur social, un cuisinier puis une coordinatrice pour arriver aujourd’hui à l’équivalent de 5 ETP. Dans cette dynamique, l’équipe des bénévoles est importante: avons au minimum 30 personnes qui s’impliquent régulièrement dans le fonctionnement des activités.
Le restaurant social, qui a vu le jour à cette époque, avait pour objectifs de répondre à un besoin primaire aussi élémentaire que se nourrir mais surtout avoir un lieu ouvert à tout le monde, un lieu de partage où les gens se parlent, se rencontrent, se retrouvent. Au départ c’était assez familial mais ouvert à tous et avec le temps, le nombre croissant de personnes en itinérance, en migration, on accueille de plus en plus de personnes sans-abris. Aujourd’hui, au restaurant social on constate que plus de la moitié des personnes qui le fréquente n’ont pas de logement. Et, là on pointe une dégradation considérable des conditions de vie des plus précaires – en particulier liée au non-respect des normes internationales de l’accueil et de la migration par la Belgique – avant le Covid, seules 10 % des personnes qui fréquentaient le restaurant social n’avaient pas de logement. Et cette situation est bien sûr plus dramatique encore pour les femmes qui vivent dans la rue et qui subissent des agressions terribles.
Le restaurant social répond bien sûr encore à ce besoin de liens sociaux identifié au départ. Le quartier est peuplé d’une population assez âgée et tant ce public que le public en itinérance souffrent d’isolement, d’absence de famille, d’entourage. Le lieu est précieux pour nouer un premier contact, démarrer un travail social informel en créant du lien, et une relation de confiance qui permet ensuite de répondre à des problématiques d’accès aux droits, de situation administrative compliquée ou d’orienter les personnes vers des services spécialisés. Car, La Samaritaine n’est pas isolée ! On travaille en partenariat avec d’autres services du quartier comme L’Union des Locataires Marollienne, la Maison Médicale des Marolles ou le Réseau Santé Mentale. Mais selon la personne et ses difficultés, cela peut aussi être du travail à long terme où il faut accompagner la personne dans les services sociaux, faire des démarches pour elle, assurer le suivi des demandes, etc. Notre public vit de grandes difficultés qui peuvent impacter fortement leur santé mentale, le recourt à toutes sortes d’addictions. Tous les mercredis – pendant les heures d’ouverture du restaurant, une psychologue vient expliquer son travail, organiser des rendez-vous gratuits avec elle et, s’il y a besoin d’un suivi plus long, orienter la personne vers des consultations psychologiques quasi gratuites.
Avant d’aller plus loin, qui est Ingrid Payan?
Ingrid Payan est originaire de Barcelone où elle a travaillé pour une structure d’aide aux sans-abris du type « Petits Riens » active sur la récupération et la formation socio-professionnelle. Arrivée en Belgique, elle avait le souhait de s’engager bénévolement dans une organisation plus petite mais avec une action sociale forte et a rejoint «La Samaritaine». En 2020, après quelques années de bénévolat et d’apprentissage du français, elle a rejoint l’équipe de salariée comme coordinatrice.
L’engagement des personnes dans le fonctionnement de La Samaritaine est vraiment divers. Peux-tu nous présenter les autres activités?
Trois jours par semaine, le restaurant social est ouvert. Mais il est accessible dès 9h30 et permet aux gens de se retrouver autour d’un café, d’échanger ou simplement de se réchauffer. Le jeudi est dédié à la distribution de colis alimentaires. Ces colis sont préparés grâce aux invendus récupérés dans le quartier, à l’aide des bénévoles, d’invendus du marché matinal récupéré par le projet DREAM du CPAS de Bruxelles[1] et des dons de la Banque Alimentaire. Le public qui bénéficie de cette aide sont la plupart du temps des personnes du quartier, des familles précaires certes mais qui ont un logement. Plus de 80% des personnes qui viennent chercher les colis sont des femmes. Soit parce qu’elles sont seules, soit parce que c’est à elles qu’incombe la charge mentale de s’occuper des enfants, de les nourrir, d’organiser leur scolarité. Et là encore, La Samaritaine va jouer un rôle d’intermédiaire, de médiateur car nombreuses parmi elles ne maîtrisent pas le français et ont besoin d’être accompagnées ou conseillées dans leurs relations avec l’école, pour demander une aide d’urgence au CPAS pour leurs enfants, etc. Ce qui est interpellant, alors que l’on voit que le «care», c’est l’affaire des femmes, c’est que cette assignation genrée ne se retrouve pas au sein des bénévoles qui s’engagent à La Samaritaine: 50% de nos bénévoles sont des hommes!
Et puis, malgré ces missions déjà bien chargées, vu qu’on agit beaucoup sur l’alimentation, on essaye aussi de travailler la dimension «alimentation plus respectueuse de l’environnement» de diminuer la viande dans nos repas, de proposer des achats locaux à travers le projet « VRAC »[2], d’expliquer les liens entre alimentation et santé tout cela sans imposer ni culpabiliser. La dimension «durable pour la planète» doit aussi être plus respectueuse de l’humain!
Comment évalues-tu l’action politique face à la précarité?
Quelle action politique? J’ai déjà pointé le non-respect des normes internationales d’accueil par le gouvernement fédéral, quant à la Région Bruxelloise, elle est sans gouvernement depuis dix mois! Résultat: de nombreux projets associatifs sont à l’arrêt faute de financement. Des associations doivent licencier leur personnel, et les projets de soutien aux plus démunis sont suspendus. Il s’agit d’une véritable maltraitance politique, où l’absence d’action aggrave la situation des plus vulnérables, en particulier ceux qui vivent dans la rue. Et à moyen terme, c’est terrifiant car sans traitement humain, leur situation se dégrade, ils deviennent encore plus malades, ont encore plus de problèmes de santé mentale, d’addiction, la violence et l’insécurité s’amplifient. Cette maltraitance coûte bien plus cher à la société que si un système d’accompagnement vers le logement digne et respectueux était mis en place! La Samaritaine incarne une réponse de terrain face à la précarité, un lieu de solidarité et de soutien mais aussi un appel à l’action politique face à une crise humanitaire grandissante.
[1] DREAM est un projet d’insertion socio-professionnelle de récupération et de distribution des invendus de fruits et légumes du marché matinal de Bruxelles (Mabru) vers le secteur de l’aide alimentaire en Région de Bruxelles-Capitale.
[2] «Vers un Réseau d’Achats en Commun» est une association qui favorise le développement de groupements d’achats communs dans les quartiers prioritaires où il semble important d'(e) (r)amener de la cohésion sociale.
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©Cilou de Bruyn (Portrait de Ingrid) et ©Carole Detroz (Article)
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