EDITO – A nos voisin·es français·es.
Monceau-Sur-Sambre,
le 3 octobre 2025
Chère Marianne,
J’espère que tu vas bien, ainsi que tes collègues du Collectif des associations citoyennes (CAC), et que vous tenez bon vous aussi!
Te rappelles-tu qu’en juillet 2024 – peu après l’annonce par votre Président de la dissolution de l’Assemblée nationale et l’annonce d’élections anticipées – tu avais imaginé une issue de secours au scénario catastrophe de l’arrivée au gouvernement français d’un parti d’extrême droite : trouver refuge en Belgique avec ton association? Cette idée m’avait frappée à l’époque. Après le droit d’asile politique pour les citoyens, le droit d’asile politique pour les associations, avais-je pensé.
Te souviens-tu de ma réponse? Je te partageais ma consternation et mon inquiétude pour la démocratie en France et plus largement en Europe et dans le monde. Je t’informais aussi de la tenue récente d’élections en Belgique et en Wallonie. Je te rendais compte des résultats de ces élections : même si les résultats de l’extrême droite sont inégaux selon les régions, ces élections ont clairement été marquées par une droitisation de l’électorat et la période qui a suivi par une extrême-droitisation de l’offre politique. Je te partageais aussi nos incertitudes sur le sort qui allait être réservé aux associations par nos prochains gouvernements. J’en appelais enfin à une plus grande solidarité entre nous qui, de part et d’autre de la frontière entre nos pays, défendons la contribution des associations à l’intérêt général et à la construction d’une société réellement démocratique.
Bien sûr la Belgique est connue pour la densité de son tissu associatif et pour l’importance des «corps intermédiaires» dans sa démocratie. Le rôle de ceux-ci est fait de dialogue, de concertation sociale mais aussi de plaidoyer et de rapport de force avec les élu·es politiques. Un tel mécanisme joue un rôle dans la transformation de la société à plusieurs égards. Il est aussi le signe d’une démocratie vivante et vivace. L’histoire de notre pays est émaillée de telles luttes qui ont créé ou transformé nos institutions. Ces luttes sont préparées et discutées préalablement dans les espaces de délibération que constituent les associations ainsi que dans les coalitions interassociatives ou les diverses fédérations existantes. Ces espaces politiques de proximité touchent et mobilisent une diversité de citoyen·nes. C’est notamment de cette manière que la démocratie peut être considérée comme participative.
Peu avant ton mail, je m’étais fait une joie de contribuer à l’une des rencontres de votre université des savoirs associatifs en intervenant sur le thème de l’éducation permanente[1]. Je me souviens des regards ébahis des membres de l’assistance française face à cet OVNI que peut constituer l’éducation permanente dans le contexte actuel des relations entre Etat et associations. Cette soirée à Paris et ses suites m’avaient fait prendre pleinement conscience du statut exceptionnel de ce dispositif, résultat d’une véritable co-construction entre les corps intermédiaires et l’Etat dans les années 70. L’éducation permanente est en effet une manière pour les pouvoirs publics de créer un environnement favorable à l’émergence d’interpellations citoyennes qui les critiquent, les challengent, les stimulent, prennent des initiatives et formulent des demandes collectives.
Je regrette de t’informer que, depuis lors, les risques entrevus au lendemain des élections du 9 juin 2024 se sont réalisés. Les associations subissent dans notre pays des attaques de plus en plus nombreuses et de plusieurs natures. Faudra-t-il que, à l’instar de ce que vous avez contribué à faire, nous nous dotions nous aussi d’un observatoire des libertés associatives[2]?
Je ne t’apprends rien dans le fait que les financements structurels des associations sont cruciaux pour qu’elles arrivent à se projeter sereinement dans le temps et à réaliser leurs missions. Ces financements structurels (dont celui de l’éducation permanente ou des aides à l’emploi) font actuellement l’objet de remise en question qui plongent les associations dans le brouillard le plus épais. Et je ne te parle même pas des associations situées sur le territoire de la région bruxelloise qui n’est toujours pas dotée d’un gouvernement depuis les élections, faute d’accord sur une coalition entre les partis. Plusieurs d’entre elles ont cessé leurs activités ou ont licencié une partie de leur personnel.
A l’instar de la France, notre pays est lui aussi de plus en plus polarisé. Je te passe les détails mais à la suite d’une manifestation émaillée de violence, les annonces faites dans la presse par certaines autorités consistent à proposer la dissolution d’associations antifascistes par décision gouvernementale, sans intervention judiciaire. La Belgique ne dispose pas d’un cadre légal permettant un tel acte mais avance dans cette direction, déjà appliquée en France avec les dangers avérés pour les droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et le droit de manifester. Une loi antérieure avait déjà été votée qui modifie le Code pénal et introduit le concept imprécis d’«atteinte méchante à l’autorité de l’État». Un recours a été porté par plusieurs associations et syndicats auprès de la Cour Constitutionnelle et est toujours pendant.
Enfin, pour couronner le tout, nous ne comptons plus les attaques symboliques que subissent les associations et leurs publics, considérés publiquement par les plus hautes autorités de l’Etat comme «biberonnés» aux subsides publics alors que dans le même temps, les subventions publiques aux entreprises privées atteignent des sommets[3]. La reconnaissance de l’apport fondamental des associations à la société se réduit comme une peau de chagrin.
Tu auras compris que, dans ce contexte, l’heure n’est plus à trouver refuge chez les uns ou les autres au gré des résultats électoraux, mais à lutter ensemble, localement et internationalement, pour un associationnisme du XXIe siècle[4], c’est-à-dire notamment un rôle politique pour les associations et les autres acteurs de l’économie sociale et solidaire[5].
Au plaisir d’en discuter prochainement avec toi, Marianne.
Solidairement,
Quentin.
[1] Voir les traces de cette université des savoirs associatifs : https://univete.associations-citoyennes.net/?FinanEducPerm
[2] https://libertesassociatives.org/
[3] https://www.econospheres.be/Un-pognon-de-dingue
[4] https://shs.cairn.info/quel-monde-associatif-demain–9782749270425?lang=fr
[5] https://saw-b.be/publication/renaissance-economie-sociale-conscience-politique-2025/
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