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EDITO – L’économie sociale doit-elle être exemplaire ?

Exemplarité économie sociale édito#42

L’économie sociale aspire à être exemplaire, car cette exemplarité est au cœur de ses valeurs et de son identité.
Oui, mais ça veut dire quoi être exemplaire?

 

Dans la série «A la maison blanche» («The west wing»), Matt Santos, candidat démocrate à la présidence prononce ces mots: « Nous menons tous des vies imparfaites, et pourtant, nous nous accrochons à cette illusion qu’une vie parfaite existe et que nos dirigeants devraient l’incarner. Mais si nous exigeons de nos dirigeants qu’ils vivent sur un plan moral plus élevé que le reste d’entre nous, eh bien, nous demandons simplement à être trompés ».

Plus une personne a du pouvoir ou se présente comme ayant des considérations morales élevées ou une exigence importante vis-à-vis d’elle-même, et plus il sera attendu d’elle une attitude exemplaire. Admettons là une forme d’hypocrisie parce que nous n’avons pas ce degré d’exigence pour nous-mêmes.

Ces mots résonnent particulièrement dans le contexte de l’économie sociale, qui doit concilier des attentes élevées avec les imperfections inhérentes à toute organisation humaine.

 

L’exemplarité, ce n’est pas être parfait, c’est avoir un idéal, des valeurs, une exigence morale et tout faire pour les atteindre et les respecter. Une obligation de moyens plus que de résultat. C’est difficile. C’est contraignant. C’est souvent une épreuve quotidienne pour trouver des solutions acceptables. La recherche participative sur la gestion que nous avons récemment réalisée montre très bien cette complexité et la créativité nécessaire pour gérer une entreprise d’économie sociale qui, rappelons-le, est autant une entreprise qu’une association, un collectif de personnes. C’est un défi dont on mesure rarement l’ampleur. Dans cette étude, nous reprenions une citation mise en exergue dans le livre de Philippe Eynaud selon laquelle « la fin est dans les moyens comme l’arbre dans la semence ». Que faut-il comprendre par-là? Nous expliquions dans cette étude que « dans le domaine de la gestion ou en économie classique, la relation entre les fins et les moyens est une optimisation. Optimisons les moyens par rapport aux finalités poursuivies. Avec cette pensée de Gandhi, on renverse cette relation: les moyens, comme la semence, incluent déjà une forme de finalité. Ce n’est donc plus un calcul d’optimisation qui doit être opéré mais un raisonnement éthique et un choix politique autour d’une question: quelles sont les fins de nos moyens? ».

Viser la finalité sociale tout en étant viable économiquement est une affaire d’équilibre et elle est souvent mise à très rude épreuve. L’économie sociale essaie et se trompe. Elle commet des erreurs aux conséquences humaines qui peuvent être colossales. Il est normal qu’elle échoue parfois, surtout si elle s’est éloignée de ses valeurs mais ça ne signifie pas que ça ne vaille pas la peine d’essayer encore et encore.

 

L’exemplarité d’une entreprise d’économie sociale est de chercher comment faire mieux, ce qui reste très difficile à réaliser dans un modèle économique dominant qui est à l’inverse de ce qu’elle prône. C’est d’autant plus un défi que nous restons influencés par les pratiques et les logiques du capitalisme, même quand on aspire à s’en détacher. En matière de gestion, nous considérons trop souvent celle-ci comme technique, neutre. Or, si l’on n’y prend garde et si l’on ne se dote pas d’outils adaptés, la gestion et ses outils viennent, historiquement, de l’entreprise marchande. Il faut en prendre conscience et travailler autant que possible à une «autre gestion», pour reprendre les mots de Philippe Eynaud.

 

Notre exemplarité est notre fierté et quand elle est mise à mal, par nous, par d’autres, osons en parler, osons admettre nos erreurs ou nos incapacités. C’est en partageant aussi ce qui pose problème ou question que l’économie sociale grandira.

 

Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be

©robert_wiedemann_unsplash

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