Aller au contenu

ITW – ParagraFes, l’écriture, un outil puissant pour TOUTES les femmes.

Interview ParagraFes

Du Maghreb ou du Congo, de la Roumanie ou Tchétchénie, Colombie, Portugal ou encore de la Belgique, elles ont toutes une histoire à raconter. Les femmes, mères, grand-mères et filles, qui passent par ParagraFes reprennent possession de leur histoire. Elles deviennent à la fois héroïnes et autrices de leurs récits. Rencontre avec Manuela Varrasso, co-fondatrice de l’association.

 

Manuela, qu’est-ce que c’est ParagraFes?

ParagraFes est une association fondée par quatre femmes engagées, quatre amies, dont moi-même. La lecture et l’écriture nous ont toutes transformées à un moment de notre parcours personnel ou professionnel. Parce que nous l’avons expérimenté, nous sommes convaincues du pouvoir des mots et avons voulu en faire bénéficier toutes les femmes. C’est ce qui a motivé le lancement de notre aventure.

Notre nom – et notre démarche – est inspirée du rôle des «paragraphes». Dans un texte, chaque paragraphe développe une idée, un sujet unique. Ensemble, ils sont connectés par des liens apparents, parfois discrets ou invisibles. C’est notre mission: aider chaque femme à raconter son histoire unique et valoriser les liens qui les relient pour former notre histoire collective. Le F de ParagraFes symbolise les Femmes.

Dans la littérature, on connaît l’importance de l’écriture autobiographique avec des autrices majeures comme Annie Ernaud ou encore Kaoutar Harchi[1], qui travaillent cette matière personnelle. Mais elle est aussi démontrée dans des sciences humaines et sociales comme l’ethnologie, la sociologie, la psychologie, et même le marketing où le storytelling est un must. Plus récemment, dans les neurosciences, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik parle beaucoup des bienfaits de l’écriture pour (re)construire sa résilience..

Quelle que soit le domaine, il s’agit de donner la parole à des personnes ou des groupes qui n’ont pas l’opportunité ou l’habitude de s’exprimer et de leur rendre un statut, une valeur en tant que sujet de leur histoire[2]. Nous l’utilisons pour permettre aux femmes de se réapproprier leur parcours de vie et orienter leur futur.

 

Qu’est-ce qui vous distingue des autres ateliers d’écriture?

Dans plusieurs endroits bruxellois, on voit une «démocratisation» de la parole lors d’ateliers slam, ou de scènes ouvertes par exemple. Mais  cette «démocratisation» est relative. Beaucoup de femmes ont des freins personnels, culturels ou financiers pour parler d’elles ou écrire sur elles-mêmes. Elles n’ont pas l’habitude ou n’osent pas se raconter. Elles ne se sentent pas légitimes ou ont un rapport ambigu ou difficile avec la parole et l’écriture.

Nous nous efforçons donc de rendre nos projets, formations et ateliers accessibles à toutes les femmes, quels que soient leurs origines, leur confession, leur âge ou leur parcours d’éducation, et en particulier à celles issues de l’immigration et de la diversité. Car nous avons la profonde croyance que chaque femme a une histoire particulière à raconter, un imaginaire, des espoirs. Et que chaque femme, avec ses bagages et ses limites, peut les exprimer par l’écrit…

 

Manuela de ParagraFesAvant d’aller plus loin, qui est Manuela Varrasso?

Je suis née à Seraing, dans une famille immigrée italienne. Je suis la première fille à avoir suivi des études au-delà du primaire dans ma lignée féminine. J’ai d’abord étudié le travail social, puis obtenu un Master en Journalisme et Communications sociales à l’UCL.

J’ai porté des projets culturels et éducatifs pour les femmes pendant près de 30 ans. En 2017, j’ai publié Le voyage d’Andrea, un récit autobiographique dédié à ma mère et ma fille (Academia, L’Harmattan), et en 2020 j’ai reçu le Prix du Comité Femmes et Sciences de l’ARES pour mon mémoire en études de genre que j’ai repris à 50 ans.

Ensuite, j’ai été embauchée au sein d’un service public d’inclusion par l’emploi (je suis en pause carrière) où j’ai écouté et accompagné les parcours de vie de femmes. À partir de 2021, j’y ai proposé des ateliers d’écriture qui ont été impactants pour elles. J’ai alors décidé de fonder ParagraFes en 2023.

 

Concrètement, qu’est-ce que les participantes découvrent en participant aux ateliers ?

Ah, il faudrait leur demander car nous en accueilli près de 200 depuis le 1er atelier et les bienfaits sont très nombreux et différents pour chacune. Le point commun, c’est qu’elles disent mieux se connaître, avoir repris confiance en elles, se sentir plus fortes, plus déterminées. Mieux comprendre ce qu’elles aiment, ce qu’elles veulent ou ne veulent plus. Elles insistent aussi sur le fait de ne plus se sentir seules dans ce qu’elles vivent.

Je suis émerveillée de voir comment l’écriture permet, à chacune et au groupe, de déployer ses ailes. Je pense par exemple à une femme qui était restée longtemps cloîtrée chez elle à lutter contre une maladie et s’est mise à suivre des cours de théâtre après l’atelier. Une autre a été remarquée par la coordinatrice de l’association où le groupe a lu ses textes en public; elle l’a engagée comme animatrice. Nombreuses ont repris des études pour valoriser leurs compétences quand leur expérience ou leur diplôme ne sont pas reconnus. Elles veulent s’investir et avoir des responsabilités à hauteur de leur valeur. Dernièrement, une femme qui a fondé une association pour mamans solos a compris ses motivations profondes en atelier et a écrit son autobiographie…Toutes les participantes des ateliers en récit de vie qui ont raconté l’histoire de vie de leur mère ou grand-mère ont ouvert le dialogue dans leur famille! Un livre a d’ailleurs été initié au sein de ParagraFes et s’appelle «(Grands-)mères en lumières».[3]

Théoriquement, on peut répartir les bienfaits de l’écriture en 3 parties. Sur le plan intellectuel, écrire permet de comprendre, trouver une cohérence, donner du sens aux événements. Sur le plan émotionnel, cela permet de s’alléger, de prendre du recul, se libérer. Et enfin, d’un point de vue historique, cela permet de se réapproprier le passé et d’orienter et construire le futur et aussi, de transmettre, laisser des traces, témoigner.

Et cela est particulièrement important pour les femmes qui se sentent minorisées ou invisibilisées. Quand certaines histoires de vie ne font pas partie de la grande Histoire, il faut les écrire soi-même !  

 

En plus du livre, il y a eu un spectacle…

La lecture performée «(Grands-)mères en lumière» a été un succès inattendu. Deux fois, nous avons fait salle comble en novembre 2024 à l’Espace Magh. L’après-midi devant 280 élèves et femmes issues d’associations. Le soir devant 360 personnes du grand public. C’était puissant! [4]

Le public bruxellois est en demande de ces histoires plurielles, authentiques, de ces histoires invisibilisées, racontées par les personnes concernées elles-mêmes.

Je crois que dans cette époque de mise en scène de soi, artificielle et polémique, il y a un fort besoin d’authenticité et d’histoires «positives». Nous avons choisi de transmettre ces récits avec respect et amour, pas de rhétorique militante ou de dénonciation même si les thèmes du racisme, du sexisme qu’elles ont vécu sont parfois difficiles à entendre. La parole des mères et des grands-mères est transmise, telle qu’elle a été recueillie, ni plus, ni moins. C’est leur vérité, leur vécu.

 

Pourquoi avoir fait appel à SAW-B pour un accompagnement?

Parce que nous ressentions le besoin de diversifier le modèle économique de ParagraFes. Nous ne souhaitons pas dépendre uniquement de subsides qui, on le sait et cela est confirmé par le contexte politique actuel, sont volatiles et incertains. Il y a de grands risques de voir diminuer les appuis pour les projets de justice sociale et d’égalité de genre, c’est inquiétant. Et puis, ces aides demandent une gestion administrative lourde, quand ils ne demandent pas des fonds propres qu’il faut avancer soi-même, grâce à des revenus propres ou même ses économies…

Nous avions aussi besoin de conseils pour notre gouvernance participative car porter un projet d’entreprenariat social, c’est un double défi : celui de la pérennité économique et de la participation collective sur une longue durée.

 

Que vous apporte l’appui de Mathilde, notre conseillère?

Beaucoup! Elle renforce à la fois nos fondations et développe notre potentiel.

L’atelier avec les 4 fondatrices sur la chaîne des valeurs a permis de valoriser notre mission sociale, notre impact, le chemin parcouru, les résultats attendus, les défis et les points d’attention où nous devons renforcer le dialogue entre nous… Mathilde offre un regard externe et une vue à 360 degrés et c’est important pour la réflexion car nous avons le nez dans le guidon.

Elle est très structurée et pragmatique et nous apporte une aide «sur mesure». Elle est très engagée aussi et se donne à fond pour mettre en lumière et valoriser notre expertise. Ça fait chaud au cœur. Nous avons par exemple établi une offre de prix pour nos ateliers, tant pour les partenaires que pour les groupes de femmes ; nous avons maintenant un plan financier sur 3 ans. Nous comprenons que nos activités ont une valeur et doivent être payées au juste prix. Quand on est dans l’entreprenariat social, le risque est de travailler sans compter, la charge mentale est forte. Ce n’est pas viable, on s’épuise, on risque le surmenage et la précarité financière.

Nous allons voir avec Mathilde comment mieux répartir les rôles et responsabilités, activer la communauté de femmes en activités bénévoles, élargir le CA ou l’AG…

 

Un dernier mot sur les ateliers, Manuela?

C’est bien plus qu’apprendre à écrire sur soi ou sur une personne proche …

Nos ateliers sont plus que de simples lieux d’apprentissage, ce sont des espaces d’expression, de partage et de sororité où les femmes s’expriment en confiance et en sécurité. Notre but est de valoriser leurs histoires uniques et les liens qui les tissent.

Le mieux, c’est de pratiquer l’écriture pour comprendre le bien que cela fait.

 

Alors prête à en faire l’expérience?

Découvrez les futurs ateliers : https://www.paragrafes.be/ateliers/ateliers-2025

______________________

Pour aller plus loin :

Leur site: https://www.paragrafes.be/
Creuser leurs réseaux sociaux: page facebook ou page instagram.

Regarder une émission de BX1 sur l’écriture personnelle avec ParagraFes en special guest 🙂

[1] Annie Ernaux a obtenu le Prix Nobel en 2022. Kaoutar Harchi, écrivaine et sociologue, qui s’est distanciée de la « littérature » pour travailler la matière autobiographique, son livre « Comme nous existons » est une perle du genre, dixit Manuela.

[2] C’est le fondement aussi de l’approche narrative des psychologues australiens, White et Epston, qui consiste à permettre à une personne ou un collectif de reprendre contact avec l’histoire qui la connecte à son identité « préférée » et redevenir « autrice » – au sens propre et figuré – de sa vie.

[3] https://www.maelstromreevolution.org/catalogue/item/892-grands-meres-en-lumiere

[4] Des traces, images et vidéos sont visibles sur les réseaux sociaux : sur Facebook ou sur Instagram.

Partagez :