Opinion – Danone, Faber, le capitalisme et la naïveté
Le Conseil d’administration de Danone a démis Emmanuel Faber, d’abord de son poste de Directeur général, puis de celui de président du Conseil d’administration. Cette pièce en deux actes a ébranlé toute une sphère économico-transitionnaire qui a semblé découvrir avec consternation que le profit est le premier rôle d’une entreprise capitaliste.
D’émissions de télévision en carte blanche, d’articles de presse en statut Facebook, des cris d’orfraie retentissent : leurs auteurs sont choqués qu’un chef d’entreprise considéré comme visionnaire, qui a tant fait pour la transition, soit évincé pour la simple raison que Danone fait moins bien que ses concurrents. La faute serait du côté de ces fonds d’investissement qui n’auraient qu’une vue de court terme alors que toutes les études montrent que les jeunes sont en quête de sens, que le climat est en mauvaise posture…
Faber a-t-il analysé les externalités négatives de Danone pour tenter par de nombreux moyens de les contrer ? A-t-il limité au maximum l’optimisation fiscale afin de payer des impôts justes qui permettent de contribuer à hauteur de son importance ? A-t-il réfléchi à mettre les travailleurs et travailleuses de Danone au centre de son processus en s’assurant de ne pas les utiliser comme variables d’ajustement ? A-t-il proposé de revoir l’écart salarial dans son entreprise ? Non, rien de tout ça. Il a même plutôt réorganisé l’entreprise à coût de licenciements et d’autoritarisme. Tout au plus a-t-il compensé certaines de ses externalités en créant des petits trucs sympathiques comme Danone Communities. Puis il a investi dans le bio. Il a obtenu la labélisation B-Corp. Enfin, il a fait de Danone la première «entreprise à mission» cotée en bourse(1).
Sur la labélisation B-Corp, nous avions réagi en octobre 2019 dans une carte blanche(2) dans Le Soir afin de dénoncer ce miroir aux alouettes présenté comme incroyable quelques jours avant dans ce même journal. Concernant les «entreprises à mission», plusieurs acteurs français de l’ESS(3) se sont prononcés contre la création d’un nouveau statut en évoquant le phénomène de Greenwashing, en rappelant l’existence antérieure de l’ESS et l’insuffisance de mettre l’accent seulement sur les missions sociales et environnementales sans prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux.
Ce qui est frappant dans cet emballement face à cette décision d’évincer Faber, c’est la naïveté qu’on observe à lire les commentaires de certains économistes, de certains analystes, d’entrepreneurs et même d’amis de la transition. On apprend ainsi qu’ils croient vraiment qu’on va parvenir à inverser la tendance et améliorer la situation environnementale et sociale en saupoudrant le système et ses rouages d’un peu de vert par-ci, d’un peu de rose-rouge par-là. Et surtout en se focalisant sur les acteurs économiques les plus grands et les plus médiatiques. Nous pensons quant à nous le changement au départ des acteurs de plus petite taille mais réunis (entreprises d’économie sociale, PME, etc.). La naïveté n’est peut-être pas là où on croit(4).
Il y a chez nombre de ces commentateurs une réelle conviction que Faber faisait de la transition. Une réelle conviction qu’il enclenchait quelque chose de résolument nouveau. Une réelle certitude que le train du changement était en marche. Une réelle croyance que transition sociale et environnementale et capitalisme sont totalement compatibles. Nous croyions jusqu’à présent que ces personnes étaient assez informées et pointilleuses pour comprendre que ce n’était que du vernis, un emplâtre sur une jambe de bois, une injection de Botox pour retarder les marques du vieillissement. Mais ce n’est pas le cas, ils semblent vraiment croire qu’on peut améliorer fortement la situation en faisant des changements à la marge, en compensant, sans rien remettre en cause sur le profit, le court-terme, les externalités négatives ou l’exploitation de la terre et des hommes.
Tout ça pour dire que nous avons la conviction que l’économie sociale peut rester du bon côté de l’histoire, de celle qui se tourne résolument vers demain tout en étant ancré dans les besoins d’aujourd’hui. Cela se fait peut-être lentement, d’autant que les rouleaux compresseurs face à nous sont puissants, mais petit à petit nous montrons que le changement existe déjà et qu’il s’incarne dans des entreprises qui ont toujours été prêtes à s’inscrire dans ce qui EST tout en pensant à comment changer de paradigme, dans l’aujourd’hui et le demain.
– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –
[1] Une loi française de 2019 dite loi Pacte introduit la qualité de société à mission permettant à une entreprise de déclarer sa raison d’être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux.
[3] Un exemple ici https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/15/loi-pacte-le-projet-de-societe-a-mission-est-une-fausse-bonne-idee_5436689_3232.html
[4] Voir notre étude sur les verrous économiques à la transition : https://saw-b.be/publication/les-verrous-economiques-de-la-transition-2/
Partagez :