Aller au contenu

Edito – Vous êtes formidables

vince-fleming-Vmr8bGURExo-unsplash_site

Oscar, César, Prix Nobel, Award de ceci, Award de cela, nom de rue, de tunnel ou d’écoles. Le besoin de célébrer des héroïnes et des héros, de glorifier des personnalités hors du commun qui ont apporté une contribution considérée comme majeure à la société traverse nos sociétés occidentales. En leur remettant un prix, en nommant une chose de leur nom, nous cherchons à les remercier (elle ou leur entourage). Nous cherchons à valoriser leur apport. Nous cherchons à créer une histoire commune, un récit collectif.

 

Dans son livre « La création des identités nationales –  Europe XVIIIᵉ- XXᵉsiècle », Anne-Marie Thiesse décortique comment les nations européennes ont érigé leur récit national afin de construire une identité commune, partagée. La langue, bien sûr, mais aussi la musique, les fables et les épopées héroïques, les us et coutumes, la religion, le drapeau… sont des outils au service de la création d’Etats bâtis à coups de guerres, de conquêtes, de partage de territoire, d’héritages, de traités internationaux. Les musées, la valorisation du patrimoine culturel, les traditions sont mobilisés comme média au service d’une cause nationale.

 

La démonstration de l’autrice est très intéressante parce qu’elle explique comment le sentiment d’appartenance à un Etat, à une nation, à une région, à un territoire n’est pas le fruit du hasard, d’un « né quelque part » ou d’un attachement simple. C’est une démarche volontariste de construction savamment orchestrée et pensée pour unir les populations.

 

Certains peuvent crier à la manipulation, déconstruire ces artifices et dénoncer la superficialité de ces attachements. Ce serait trop simple d’oublier le besoin humain essentiel d’appartenance. Ce serait aussi oublier qu’on peut faire évoluer ces constructions, elles ne sont pas immuables et de nouveaux récits peuvent émerger.

 

L’économie sociale peut s’inspirer de ce travail, elle devrait même certainement le faire. Pourquoi ? Parce qu’elle veut proposer une autre manière de concevoir l’économie, une autre manière de penser le monde et de construire le collectif. Cette autre conception n’a pas émergé il y a quelques années sous les coups de butoir d’un capitalisme cherchant à redorer son blason environnemental, à valoriser sa responsabilité sociale. Non, elle existe depuis des dizaines et des dizaines d’années. Elle a pris corps et vie dans les besoins des ouvriers de se protéger, de se solidariser, de construire des outils collectifs entre leurs mains. Ils se sont unis, renforcés, épaulés et ont créé des coopératives, des mutuelles, des associations.

 

Cette histoire est rarement connue des travailleuses et travailleurs de l’économie sociale, des bénéficiaires, des usagers, des clientes et clients. Que dire alors de celles et ceux qui n’ont pas conscience que cette économie sociale existe. Si cette histoire est méconnue, ce réseau immense d’entreprises, d’associations, de collectifs, de coopératives l’est encore plus. Chacun évolue dans son coin sans savoir nécessairement qu’il fait partie d’un tout, qui dépasse les frontières belges ou européennes.

 

Des fédérations comme SAW-B servent à créer ces réseaux, à construire une vision commune. Nous pouvons faire plus. Nous voulons faire plus. Cette newsletter est un pas. Notre nouvelle rubrique « Vous êtes formidables » en est un autre. Raconter des tranches de vie, mettre en avant des personnes, incarner cette histoire et ce récit commun, faire mouvement pour créer un sentiment d’appartenance à cette économie sociale. Il ne s’agit pas seulement d’héroïser des personnes ou des parcours, mais aussi de montrer le rôle précurseur de ces entrepreneuses et entrepreneurs qui ont choisi de donner du sens avant que ce soit une demande forte. Qui ont choisi de repenser la démocratie bien avant que le tirage au sort devienne une revendication politique. Qui ont choisi de s’ancrer dans le territoire et de privilégier l’ici et maintenant avant le profit. Qui ont intégré une meilleure prise en compte de leurs externalités négatives bien avant que certains se rendent compte que les ressources étaient épuisables.

 

Pourtant, encore aujourd’hui, ces entreprises, ces associations doivent se justifier, faire reconnaître leur rôle essentiel parce qu’elles s’écartent du ou des modèles dominants. Parce qu’elles sont des précurseuses refusant les diktats d’un capitalisme mortifère pour les populations, l’environnement, la société.

 

Pour pouvoir compter, il faut aujourd’hui savoir se raconter.

 

Joanne Clotuche

Edito de notre Newsletter #05. Abonnez-vous !

Partagez :