L’économie sociale, terreau des diversités… ou pas?
L’économie sociale, avec ses particularités, fait mieux que d’autres en matière de diversité de genre, d’origine, de handicap, d’âge… mais cela ne la rend pas parfaite pour autant. Comment pouvons-nous être plus attentif·ves pour intégrer pleinement ces dimensions au sein de l’économie sociale?
En Wallonie et à Bruxelles, 70%[1] des postes de travail de l’économie sociale (ES) sont occupés par des femmes (74% en Wallonie, 64% à Bruxelles). Hors des secteurs de la santé et de l’action sociale, ce chiffre descend à 60%. Dans l’économie classique, c’est 50%. Les personnes travaillant dans le secteur des « Titres-services » sont à 98% des femmes.
Par rapport à l’économie privée lucrative, l’économie sociale accueille davantage de personnes de plus de 60 ans. La différence est de 20% supérieure. A cela, nous pouvons ajouter que 5% des entreprises de l’ES sont des entreprises de travail adapté qui sont composées à plus de 80% de personnes en situation de handicap (avec plus de 90% d’entre elles sous contrat à durée indéterminée).
Il n’existe pas de statistiques sur la proportion de travailleur·es d’origine étrangère dans l’ES. On sait qu’en Wallonie, un quart des stagiaires en insertion sont de nationalité extra-européenne. A côté de ces données spécifiques, les secteurs les plus représentés dans l’ES sont ceux qui occupent davantage des femmes, des personnes d’origine étrangère, des personnes peu diplômées. Les titres-services sont un exemple parmi d’autres qui cumulent ces différentes dimensions.
L’économie sociale serait-elle exemplaire en matière de diversité? Ce serait aller bien vite en besogne. Même s’il y a eu une forte augmentation au cours des vingt dernières années, les femmes occupent moins de 40% des sièges dans les conseils d’administration des entreprises de l’ES (37%). En 2003, ce chiffre était de 28%. Dans l’économie classique, on est à 22%. C’est donc mieux, mais c’est insuffisant, surtout avec plus de 70% des postes de l’ES occupés par des femmes.
A côté des chiffres officiels, il y a aussi ce que nous voyons et constatons au quotidien. Lors d’événements rassemblant l’ES, nous sommes bien obligé·es de remarquer que les assemblées sont assez homogènes. Même si les femmes y sont présentes en nombre, parfois même en majorité dans certains secteurs, ce sont principalement des personnes blanches. Dans les projets accompagnés par les agences-conseil ou par l’incubateur Coopcity, les personnes fortement diplômées sont très largement majoritaires, presque toujours blanches. Les femmes sont relativement bien représentées, notamment à la suite d’efforts importants et spécifiques pour les attirer, comme le fait Crédal via des projets spécifiques, par exemple. Il n’y a pratiquement aucun projet porté par des personnes en situation de handicap…
L’économie sociale a encore un énorme travail à fournir si elle veut être à la hauteur et permettre à chacune et chacun de trouver sa place dans son entreprise, à tous les niveaux mais aussi, ce faisant, dans la société. Nous ne sommes pas les seul·es à devoir mettre en place des actions mais nos spécificités sont à prendre en compte.
Historiquement, l’économie sociale s’est construite en réponse à des inégalités socio-économiques. A côté de ces inégalités socio-économiques (lutte de redistribution), il existe ce qu’on appelle des luttes de reconnaissance. Elles se focalisent sur les injustices culturelles. Elles critiquent le mépris, la domination culturelle et le déni de reconnaissance dont sont victimes les groupes minorisés et stigmatisés en raison de pratiques institutionnelles dominantes. On peut être minorisé en fonction de son origine, de sa religion, de son orientation sexuelle, d’un handicap… Mais on peut aussi être minorisé en fonction de son sexe, bien que les femmes représentent plus de la moitié de la population mondiale. Les réponses résident dans un changement symbolique ou culturel favorisant la revalorisation des identités en transformant les modèles sociaux. L’objectif de ces luttes est de célébrer et/ou de déconstruire les différences entre les groupes. Les luttes en faveur des droits des communautés LGBTQI[2] sont un exemple, tout comme les batailles pour les droits civiques aux Etats-Unis et le féminisme.
La « frontière » entre luttes de reconnaissance et de redistribution est bien plus poreuse que ce qu’on essaie de faire croire parfois en les opposant. Elles s’articulent et se cumulent le plus souvent. Le secteur du nettoyage est un bon exemple de cette intersectionnalité. Il y a plus de femmes que d’hommes. Les travailleur·es sont plus âgé·es que dans les autres secteurs. Les salaires sont moins élevés. Les personnes d’origine étrangère sont bien plus présentes et le niveau de diplôme est bien plus bas (64% ont un diplôme maximum de l’enseignement secondaire inférieur).
Les préoccupations centrales des acteurs et actrices de l’ES pour l’émancipation, la justice sociale, l’inclusion, l’égalité et le respect de la diversité impliquent d’agir en tenant compte de cette superposition des inégalités de classe, d’origine, de genre, de handicap, de religion, d’orientation sexuelle… pour mettre en place des actions à la hauteur de nos ambitions et de nos principes. Le fait d’être en économie sociale ne nous rend pas vertueux par essence dans ce domaine en raison de nos principes et nous avons des efforts à fournir.
Ce travail doit reposer sur un diagnostic et la mise en place de plans d’action construits, pensés et élaborés avec et pour les personnes concernées.
Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be
[1] Tous les chiffres présentés jusqu’à présent sont issus de L’Observatoire de l’ES et de son dernier baromètre de l’ES : https://observatoire-es.be/publications/
[2] Lesbiennes, gay, bi, trans, Queer et intersexe.
[3] Envie d’aller plus loin dans la réflexion de la diversité des genres dans les entreprises d’économie sociale? Rejoignez-nous le 17 avril ou le 4 juin 2024, à Bruxelles, pour une matinée d’arpentage. Nous vous proposons de découvrir l’ouvrage «Fabriquer l’égalité: Manifeste pour en finir avec le sexisme dans l’économie sociale et solidaire».
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