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La Fédération des Maisons Médicales – une santé préventive, globale et démocratique.

Interview_FMM

Pour la rentrée, c’est sur la Fédération des Maisons Médicales et Fanny Dubois, sa secrétaire générale,  que nous avons choisi de poser nos projecteurs. Vous connaissez sans doute les maisons médicales. Constituées d’équipes pluridisciplinaires (médecins généralistes, kinés, infirmiers, accueillants…), elles offrent des soins de santé primaire accessibles à toutes et tous. La Fédération vient, comme SAW-B, de fêter ses 40 ans et Fanny, de rejoindre notre Conseil d’Administration. Le modèle des maisons médicales est inédit à l’échelle mondiale. Pourquoi? Quels ont été leur parcours et leurs combats durant ses 40 ans? Quel rôle a joué la Fédération ? Fanny nous raconte…

 

Pour Fanny Dubois, la genèse de la Fédération des Maisons Médicales, c’est l’histoire d’un conflit entre des tenants d’une vision libérale de la santé, généralement portée par les médecins spécialistes, et ceux d’une vision plus sociale, collective, démocratique et multidisciplinaire. Les premiers défendent un système de santé hiérarchique où le médecin a l’essentiel du pouvoir (par rapport aux métiers d’infirmier, kiné, psychologue, etc.) et où les spécialistes ont davantage de moyens que les médecins généralistes. Les seconds défendent un système de santé axé sur la première ligne, où l’on accorde de l’importance à la prévention, aux déterminants non médicaux de la santé, à une organisation des soins de santé où les kinés, infirmiers, accueillants, etc. ont tout autant leur mot à dire.

 

Mais avant tout, qui est-elle ?
Jeune, femme, sociologue et aide-soignante de formation, secrétaire générale de la Fédération des Maisons Médicales aujourd’hui, son parcours est plutôt original. « J’ai 34 ans exactement. Au départ, sociologue, j’étais intéressée par les questions de sociologie de la santé. Très vite, j’ai ressenti le besoin d’être au plus proche des soignants. J’ai réalisé une formation supplémentaire d’aide-soignante et travaillé, pendant une grosse année, au service de gériatrie à l’hôpital Saint-Pierre. Après ça, je voulais avoir une vision plus large du système de santé et développer une expertise sur tout ce qui touche au mécanisme de la sécurité sociale. J’ai été travailler à la mutualité Solidaris. Ce parcours m’a amené à vouloir travailler à la croisée entre le terrain et l’action politique, tout en pouvant réfléchir aux alternatives plus démocratiques de santé. Et des lieux pour faire ça, il n’y en a pas dix ! Les maisons médicales sont vraiment les représentantes d’un mouvement qui défend une alternative plus sociale, plus démocratique et plus durable ».

 

Concrètement, comment sont nées les maisons médicales?

«La Fédération est née à la suite de deux grandes grèves, en 1964 et 1982, organisées par les détenteurs d’une vision davantage libérale et… deux contre-grèves organisées par ceux qui soutiennent une vision plus sociale de la médecine. En 1964, la branche santé de la sécurité sociale existait déjà depuis près de 20 ans. Le coût des remboursements des soins de santé devenu insoutenable pour l’État, le ministre de l’époque, Leburton, décide alors de réguler les prix des consultations qui étaient fixés librement par les médecins. La plupart des médecins se mettent alors en grève. Quelques médecins ne se sentant pas appartenir au mouvement et considérant qu’il est normal que l’argent de la sécurité sociale puisse être géré démocratiquement, lancent un contre-mouvement. C’est de là que naissent les premières maisons médicales. En 1982, une autre grève libérale a tenté de s’organiser mais elle fut vite avortée. Les médecins des maisons médicales, appuyés par les mutuelles, refusent cette grève. Ils organisent des lignes téléphoniques depuis les mutuelles pour rediriger les patients des grévistes (libéraux donc) vers les médecins des maisons médicales notamment. Les maisons médicales sont ressorties grandies de ces deux grandes batailles et ces événements ont abouti à la naissance d’un vrai mouvement social et de sa Fédération».

 

Comme SAW-B, la Fédération vient de fêter ses 40 ans. Quels progrès majeurs a acquis la Fédération en 40 ans?

«On cite souvent le forfait», une conquête qui a marqué le mouvement et date de la seconde contre-grève. «Le patient signe un contrat avec sa maison médicale et sa mutuelle. Il s’engage à consulter uniquement les prestataires des soins de santé de première ligne de la maison médicale où il est inscrit. De son côté, la maison médicale s’engage à fournir tous ces soins. La mutuelle, elle, paye un forfait fixe à la maison médicale. Le patient n’a ainsi plus aucune gestion administrative et n’a plus d’argent à sortir de sa poche. C’est un système révolutionnaire car tous les soins de santé de première ligne deviennent accessibles pour tout le monde, sans paperasse et centrés sur la prévention de la santé plutôt que la gestion des maladies. C’est effectivement aussi la naissance d’une nouvelle conception de la médecine. Là où un médecin classique y gagne financièrement quand ses patients sont malades (puisque le financement provient des actes que le soignant pose); les médecins des maisons médicales, payés au forfait quel que soit l’état de santé de leurs patients, ont tout intérêt à faire de la prévention et à éviter que leurs patients n’attrapent quelque chose».

 

Quel est le rôle de la Fédération là-dedans?

«Son rôle, c’est notamment de faire vivre les principes du forfait. Le forfait n’est qu’un outil de financement » rappelle Fanny. « Il n’a du sens que s’il est réellement associé à de l’éducation permanente, à ce que les médecins aient conscience de l’importance de la prévention, d’une prise en charge globale des patients, de faire de la santé communautaire, d’accorder du temps aux échanges entre professionnels de santé, etc. Si les professionnels des soins de santé des maisons médicales ne sont pas suffisamment stimulés dans cette philosophie, le risque serait de considérer le forfait comme un mode de financement gracieux qui tombe tous les mois quel que soit le niveau d’activité des professionnels. Un de nos jobs est de former, faire campagne, sur toutes ces thématiques si importantes pour une prise en charge qualitative et préventive». À côté de ça, il y a beaucoup d’autres combats gagnés par la Fédération. On peut citer l’approche multidisciplinaire de la santé ou encore la quantité d’emplois que génère le secteur, comme le travail d’accueil en maisons médicales.

 

Quels sont les combats pour lesquels la Fédération peine à faire bouger les lignes?

«Il y en a plein!» nous avertit Fanny. «Par exemple, on prône une prise en compte de la santé dans toutes les politiques publiques. Faire de la prévention, ça implique de jouer sur l’ensemble des déterminants non médicaux de la santé : le logement, l’alimentation, les conditions de travail, la qualité de l’air, etc. Quand on voit les prix des logements à Bruxelles, le nombre de producteurs bio qui arrêtent leur métier parce qu’il est impossible d’en vivre dignement, etc. on constate qu’on est loin d’une société de prévention. Et malheureusement, même la pandémie du Covid n’a pas beaucoup fait bouger les lignes».

Pour terminer notre échange, j’aimerais aborder deux points d’actualité. On constate que de moins en moins de professionnels de la santé sont conventionnés (ils définissent des prix aussi élevés que souhaité). Il est devenu pratiquement impossible de trouver un ophtalmologue conventionné à Bruxelles par exemple. Que pensez des accords de conventionnement passés entre les acteurs du secteur et le gouvernement? «Nous, on trouve que les accords de conventionnement sont très bons et que toute profession de soins devrait être conventionnée. Même les infirmières libérales, devraient l’être». Fanny ajoute, «pour moi, la baisse du niveau de conventionnement tient dans le manque de formation sur ce qu’est réellement la sécurité sociale, comment elle fonctionne, etc. Même au sein des maisons médicales, de jeunes médecins ne savent pas bien répondre à ces questions-là». Encore un job que la Fédération porte avec énergie.

Pendant la crise du Covid on a beaucoup parlé de la pénurie des infirmiers et de leur situation de travail très difficile. «Je pense que le problème pour les infirmières et infirmiers se trouve surtout dans les conditions de travail : ils sont maltraités, n’ont pas leur mot à dire dans les systèmes très hiérarchiques des hôpitaux. Leur salaire n’est pas faible en soi, mais il est bien moindre que ceux des médecins. C’est ce manque de valorisation associé à un travail dur qui pose problème».

 

Un job à pourvoir?

Je vois que la Fédération cherche un.e coordinateur.rice pour un dispositif de soutien sociosanitaire aux réfugiés ukrainiens[1]. Quel regard porte la Fédération sur l’accueil des réfugiés en Belgique? Et quel rôle y joue-t-elle? « Notre vision par rapport à la prise en charge sociosanitaire c’est qu’elle doit être universelle. Pour nous, ça n’a aucun sens d’exclure des réfugiés de l’assurance maladie invalidité et de porter tous nos efforts sur la population ukrainienne. On a accepté de participer à ce dispositif de soutien aux réfugiés ukrainiens comme nous l’a demandé la ministre Morreale, mais en disant qu’on n’exclurait personne, même les non ukrainiens». Ce qui est aberrant, nous explique Fanny, «c’est qu’en réalité ça coûte plus cher à notre société d’exclure des individus de l’assurance maladie classique. Les exclure implique de mettre en place toute une série de mécanismes de contrôle qui coûte cher. Or, ces réfugiés peuvent bénéficier de l’aide médicale urgente des CPAS et peuvent se rendre aux urgences des hôpitaux, dont la déontologie impose qu’elles les prennent en charge. Si tout ce public-là était géré par l’assurance maladie classique, on n’aurait pas ces frais liés au contrôle et à l’engorgement des urgences par des maladies qui n’ont pas pu être prises en charge en amont, faute d’inclusion sociale de ces personnes dans notre système de santé».

Vous l’aurez compris, la Fédération des Maisons Médicales prône une démarche plus préventive et holistique de la santé. «Quatre-vingts pour cent de notre santé est influencée par des déterminants non médicaux», nous rappelle encore Fanny par le biais d’une vidéo réalisée à l’occasion de leur 40 ans et qui est à consulter sur leur site internet : https://www.maisonmedicale.org.

 

 

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