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Edito – S’armer de colère.

Edito_janvier2023

Il y a quelques semaines, je discutais avec une de mes proches. Elle me demandait comment parvenir à garder la passion et l’énergie dans son travail quand les tâches ne sont pas à la hauteur des défis environnementaux qui traversent notre société. Je lui ai répondu que ce qui m’aidait, c’était d’être entourée d’autres personnes qui partagent mes constats, mes énervements, mes critiques, mais aussi mes espoirs. Notre colère commune face au manque de changements structurels nécessaires, face au manque d’ambition des mesures prises, face à la froideur des engagements est le lieu où je vais puiser la force et la passion pour continuer à défendre les valeurs et garder de l’optimiste.

 

Cette colère, son rôle, je l’ai déjà rencontré dans une association accompagnée lors d’une évaluation d’impact social. Nous avions passé la journée avec les équipes et nous avions été frappés, mes collègues et moi, par la colère forte qui animait les travailleurs et travailleuses de la structure. Face aux difficultés rencontrées par leurs bénéficiaires, face à la catastrophe sociale présente tous les jours, les équipes étaient en colère. Colère contre le système qui broyait, contre le peu de moyen dont elles disposaient, contre les problèmes accumulés par les bénéficiaires (sans papier, maladie mentale, isolement social, pauvreté, toxicomanie…), contre leur incapacité à lutter contre les difficultés à la source, avant que l’exclusion n’arrive. Cette colère était leur plus grande force et leur plus grande fragilité. Force lorsqu’elle leur donnait l’énergie pour se battre et pour affronter une nouvelle journée et son lot de misère. Faiblesse lorsqu’elle annihilait tout espoir de pouvoir faire autre chose que de poser un emplâtre sur une jambe de bois.

 

La colère est un sentiment très mal perçu. Derrière la colère, on voit poindre la violence, la haine, la brutalité, l’irrationnel, le manque de contrôle… « Ne prends pas une décision quand tu es en colère ! » « La colère ne règle rien ! »

 

Pourtant, revenons au petit enfant que nous avons été. N’oublions pas que le « NON ! » et les crises de colère qui rythment l’enfant vers l’âge de 2 ans sont un moment essentiel de son apprentissage, celui de l’affirmation, de la différenciation, de l’autonomie. La frustration de ne pas arriver à accomplir une tâche, de se voir refuser une envie, de se voir contraint se transforme en crise terrible, mais ô combien nécessaire. C’est une phase charnière dans le développement des enfants, même si elle est très difficile à vivre pour l’entourage.

 

On parle régulièrement ces dernières années d’éco-anxiété ou de solastalgie, une angoisse qui anime de nombreuses personnes lorsqu’elles prennent conscience des défis environnementaux et de la faiblesse de la réponse sociétale et politique. La situation sociale n’a pas de mot semblable mais on peut très bien l’imaginer tant nous voyons la catastrophe sociale actuelle et combien la transition injuste que nous vivons actuellement est anxiogène, y compris pour toutes celles et tous ceux qui se battent pour améliorer les choses. Parce que la crise environnementale touche et touchera d’abord et avant tout les populations déjà fragilisées. Tout comme la crise énergétique frappe plus durement ces populations. Tout comme les inondations de l’été 2021 ont d’abord affecté les personnes isolées, appauvries, celles qui dépendent de la solidarité des autres. Tout comme les pays les plus pauvres économiquement, ceux-là mêmes qui sont les moins à l’origine du changement, sont et seront les premiers impactés par la crise environnementale.

 

L’anxiété précède-t-elle la colère ou est-ce l’inverse ? Avons-nous encore le luxe d’être anxieux ?

 

Aristote a dit « : « La colère est nécessaire; on ne triomphe de rien sans elle, si elle ne remplit l’âme, si elle n’échauffe le cœur; elle doit donc nous servir, non comme chef, mais comme soldat ».

 

Pour 2023, je vous souhaite de lever une armée de colère, de vous entourer d’autres colériques et de mener ensemble les batailles, pas seulement celles que vous pouvez gagner mais surtout celles qui doivent être menées. Pour vous, et pour toutes celles et ceux qui en ont besoin.

 

Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be

© Andrea pPiacquadio pour Pexels.

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