Aller au contenu

L’Eweta – 60 ans que les ETA s’adaptent!

Atelier-Cambier-71

Les Entreprises de travail adapté (ETA) fêtent leurs 60 ans ce 17 novembre. Mais au fond, c’est quoi une ETA? Si je vous dis: c’est de l’occupation pour les personnes en situation de handicap, ce sont des entreprises fortement subsidiées ou ce sont des entreprises à qui on fait appel pour se donner bonne conscience… et bien, rien de tout cela n’est vrai! En lisant l’interview de la directrice de leur fédération wallonne, Gaëtane Convent de l’Eweta, vous verrez que les mots qui vous viennent sont valeurs, résilience, adaptabilité, créativité, équilibre et compétences. Alors, prête et prêt à être surpris? 

 

Tout d’abord, situons L’Eweta et les Entreprises de Travail Adapté.

 

Gaëtane, peux-tu nous dire qui elles sont?

L’Eweta, c’est la Fédération Wallonne des Entreprises de Travail Adapté. Nous rassemblons toutes les ETA qui sont actives en Région wallonne et en Communauté germanophone. Nous sommes dans l’économie sociale et notre raison d’être, c’est l’inclusion de personnes en situation de handicap et la création d’emploi pour elles.

Une ETA, c’est a priori une entreprise ordinaire, une entreprise qui rend des services et a des missions économiques comme n’importe quelle autre entreprise. Mais sa raison d’être, son objectif premier, c’est la création d’emplois pour des personnes en situation de handicap. L’économie est au service de la mission première. C’est ce qui fait qu’au minimum 70% des travailleurs et travailleuses en ETA sont en situation de handicap et que les ETA développent autant d’activités économiques différentes pour correspondre aux différents profils de ces travailleurs. A noter qu’en Région wallonne, les ETA de plus de 50 travailleurs doivent compter en leur sein 20% de personnes en situation de handicap parmi les encadrants, que ce soient les moniteurs, le comptable, le directeur etc.

 

Qu’entendez-vous pas «handicap»?  

Au sein des ETA, 52% de personnes souffrent d’un handicap mental, 41% ont un handicap physique et 7% ont un handicap sensoriel[1]. 10% des travailleurs ou travailleuses sont dans les deux catégories. Nous accueillons aussi des personnes touchées par des maladies dégénératives, qui évoluent parfois défavorablement et affectent leurs capacités. Une caractéristique commune derrière cette notion de handicap, c’est la très grande diversité de profils et donc, en conséquence, la quête permanente d’une alchimie à créer entre ces personnes et leurs dons.

 

Se référer à l’économie sociale est-il commun au sein des ETA ?

Oui, c’est notre ADN! Et ce, pour plusieurs raisons. Nous sommes un acteur économique et nos subsides ne couvrent que 40% des rentrées. Nous sommes donc obligés d’avoir 60% de recettes via le marché. Notre objectif n’est pas de rémunérer des actionnaires mais bien celui de créer des emplois pour des personnes en situation de handicap. S’il y a des profits, le conseil d’administration, qui est composé de bénévoles, va les réallouer à l’objet social de l’entreprise. Par exemple via l’amélioration des conditions de travail, l’achat de nouvelles machines, la création de nouvelles activités.

La rentabilité, certes, nous en avons besoin. Mais ce besoin va être globalisé au niveau de l’ETA, c’est à dire qu’il ne va pas être pensé section par section. Etant donné la diversité des personnes et des types de handicaps,  nous faisons le choix d’avoir certaines activités qui peuvent être moins, voire pas rentables. Par exemple, les travailleurs qui ont une déficience mentale relativement importante ont besoin de gestes répétitifs et de peu de pression du temps. Typiquement, l’emballage de savons est le genre d’activité qui leur convient bien, c’est un produit qui ne périme pas et lorsqu’on a de la place nous permet un stockage important. Il est sûr que cette activité-là, ne va pas être rentable en soi. Dès lors, ces «manques financiers» doivent être compensés par des bénéfices dans d’autres activités à haute valeur ajoutée. On veut se le permettre pour garantir un emploi à notre public cible. Cette garantie d’emploi, c’est aussi notre différence.

Un autre de nos enjeux fondamentaux, c’est que les conseils d’administration et les assemblées générales sont composées de citoyens, qui sont parfois directeurs d’une autre entreprise, mais qui s’engagent en tant que bénévoles et qui décident de participer à un projet solidaire qui a comme particularité de créer de l’emploi pour les personnes en situation de handicap.

 

Y a-t-il de nouveaux types de clients des ETA?

La plus petite ETA compte 35 travailleur·euses, la plus grande c’est 1000 et la taille moyenne d’une ETA est de 250 personnes. Ce sont donc des entreprises moyennes et grandes qui sont marquées par une grande professionnalisation et des process industriels assez importants.

Notre clientèle provient principalement de l’économie marchande dite classique qui nous sous-traite certaines activités. C’est le cas des grandes marques de supermarchés qui doivent emballer certains produits et qui cherchent des opérateurs les plus proches possible de leurs enseignes. Ces clients-là nous proposent souvent des tâches relativement simples et répétitives qui conviennent bien à notre public. Un nouveau type de clientèle, ce sont des entreprises belges actives dans le marché du luxe, qui sont à la recherche d’une très grande qualité de manufacture. Ces travaux peuvent prendre plus de temps à l’ouvrier·ère, qui doit être formé·e spécifiquement et qui peut ainsi arriver au tour de main attendu pour ce type de produits. Je pense à une designer anversoise, qui fait confectionner ses poufs dans une de nos ETA. Nous avons aussi des clients qui, s’ils appartiennent au monde marchand, sont en recherche d’une production locale et éthique. Notamment parmi les entreprises qui sont voisines des ETA au sein des zonings industriels. On attire de plus en plus de startups pour notre proximité et notre capacité de production sur-mesure et en petites quantités. Et puis, il y a les pouvoirs publics qui placent des clauses sociales ou réservent des marchés aux ETA (emballage, entretiens de parcs et de cimetières sans pesticide, etc.).

 

Quelles sont les difficultés rencontrées par le ETA?

On vient d’avoir une révision de notre réglementation. Et malheureusement, on constate des effets pervers de celle-ci. Elle ne favorise pas l’engagement de personnes dont le handicap demande une adaptation plus importante. Nous avons donc demandé une évaluation de cette réglementation et entamé une réflexion sur des dispositifs qui nous permettraient le maintien de ces personnes et l’embauche de nouvelles.

Un autre chantier, c’est le besoin de formations. Alors qu’il existe une évolution technologique phénoménale, beaucoup de nos travailleurs et travailleuses ne savent ni lire ni écrire. Or, maintenant, la plupart des machines sont commandées par écran interposé. Il est fondamental de continuer à les former, à des savoirs basiques mais aussi à des savoirs techniques, ainsi que des formations relatives au bien-être du personnel (alpha, gestion budgétaire) et utiles à l’évolution de l’entreprise. J’ai évoqué le développement des activités de maroquinerie et de couture de luxe. Or, il n’y a plus beaucoup d’écoles de couture dans l’enseignement spécialisé et, quand il en existe, elles utilisent très souvent des machines dites «de ménagères». Comment ça se passe dès lors? On recrute quand même ces personnes et on les forme. On utilise à la fois des machines à coudre ménagères qui leur permettent de faire certaines tâches et, petit à petit, on leur apprend l’utilisation de machines industrielles. Ce qui demande du temps et des ressources. On se rend compte aussi que certaines personnes en situation de handicap peuvent évoluer dans leurs capacités et dans leurs fonctions (de l’emballage à la confection de tableaux électriques par exemple), moyennant un apprentissage chapeauté par des moniteurs dont le travail se rapproche alors d’un compagnonnage. Nous devons développer une stratégie et recevoir un soutien pour ce temps pris à la formation.

Les ETA ont une grande capacité de résilience, du fait de travailler avec des personnes handicapées qui demandent une adaptation continue,  et d’essayer de toujours rebondir face au nombreux défis de la société. C’est ce qui a été notre force pendant la crise du coronavirus, par exemple. On a proposé aux personnes qui étaient volontaires de revenir travailler. La majorité a accepté étant donné le cadre rassurant et sécuritaire qu’une ETA peut leur offrir. On a rapidement adapté les locaux et développé une solidarité entre ETA en produisant les 15 000 masques nécessaires à la sécurité du personnel, avant même que la mesure ne soit imposée.

 

Vous fêtez vos 60 ans: quelles sont vos revendications politiques?

Il y a une double militance chez nous. La première des militances, ce serait que toutes les entreprises soient adaptées pour offrir des emplois aux personnes en situation de handicap. Dans l’intervalle, une autre militance existe: celle du développement des ETA qui sont indispensables.

On entend parfois des travailleurs que leur étiquette de personnes en situation de handicap ne les quitte pas vraiment lors d’expérience au sein d’entreprises ordinaires. Dans les ETA, le handicap est normal: les personnes sont vues comme compétentes, effectuent un travail de qualité et sont rémunérées pour celui-ci. Les ETA sont aujourd’hui le seul système où toute l’entreprise s’adapte, quel que soit le type de handicap. Pourtant, nos enveloppes de financement sont fermées, ce qui fait qu’on ne sait pas créer davantage d’emplois, sauf si on génère des recettes économiques énormes. Mais cela nous mettrait une pression économique incompatible avec notre finalité sociale. Beaucoup de directeurs et directrices d’ETA se posent à un moment donné la question suivante: «ne suis-je pas au seuil de la bientraitance de mes travailleurs en augmentant telle activité qui me permettrait effectivement d’engager d’autres personnes?»  

Nos revendications sont les suivantes. Il faudrait revoir les conditions d’accès aux ETA ou revoir les montants des enveloppes de financement. Il faut aussi soutenir la formation dont on a parlé. Les marchés publics doivent inclure des clauses sociales car ils permettent le développement de l’économie sociale. Les ETA peuvent aussi jouer un rôle dans le développement de l’économie circulaire et des circuits-courts.

Nous aimerions aussi qu’une amélioration des transports publics et de l’accessibilité des parcs industriels ait lieu. Tous nos travailleurs n’ont pas la possibilité d’avoir un permis de conduire pour des raisons d’incapacité physique ou mentale. Si on ne développe pas les transports en commun vers les lieux de travail mais aussi de culture, etc., on continue à exclure une partie de la population de la vie en société. Certaines ETA développent elles-mêmes des ramassages ou du co-voiturage mais c’est aux autorités publiques de répondre à ces besoins de base. Or l’offre est insuffisante et non adaptée (pensons par exemple aux personnes qui ne peuvent exercer qu’un mi-temps pour raisons médicales et doivent parfois attendre l’unique bus de retour en fin de journée).

 

Gaëtane, quel a été ton parcours et pourquoi es-tu devenue directrice de l’Eweta?
Gaëtane ConventJe suis un pur produit associatif. Il y a d’abord eu mes engagements bénévoles, notamment au sein d’une organisation de jeunesse assez importante dont je suis devenue la présidente. Je me suis alors rendu compte que derrière ces initiatives citoyennes, il y avait des décrets, des arrêtés, un monde politique. Après ce mandat, je me suis retrouvé à traiter des questions du volontariat, de l’engagement citoyen et gratuit dans la société. Et puis une ministre m’a proposé de devenir sa cheffe de cabinet adjointe. Ce fut une expérience éclairante sur les techniques règlementaires et budgétaires. Ensuite, j’ai eu envie de me mettre au service d’un projet qui comporte une dimension d’inclusion et de solidarité. Cinq ans après mon arrivée au sein de l’Eweta, mon constat est que cet équilibre entre l’économie et le social est central et fragile. Le plus important, c’est de tout le temps le remettre en question et ainsi arriver à une certaine justesse. Si on est trop social, on perd les moyens économiques, qui sont à la fois valorisants pour nos travailleuses et travailleurs mais aussi nécessaires à notre objectif social. Et l’inverse est vrai aussi. Si on est trop économique, alors quelle est encore notre raison d’être?

 

Veux-tu ajouter quelque chose?

Oui, je voudrais dire à quel point c’est important pour nous d’être membre de SAW-B. Cela nous permet d’être challengés. Notre objectif à nous, c’est la création d’emplois, ce qui n’est pas l’objectif premier d’autres acteurs de l’économie sociale. Cela nous oblige ainsi à nous poser d’autres types de questions sur la durabilité, sur la manière dont nous achetons nos produits ou sur la manière de les revendre. Et puis ça a aussi permis des partenariats assez intéressants entre certaines de nos ETA et d’autres acteurs de l’économie sociale, découverts lors d’une Assemblée Générale de SAW-B. Des connexions ont été établies entre des coopératives de gestion locale de forêts en Belgique et des ETA actives en menuiserie. Les échanges commerciaux n’ont pas encore pu être développés car les ETA ont besoin de stocks importants et que ceux-ci ne peuvent encore être garantis pour le moment. Mais un dialogue a été entamé, qui fait que chaque partie prend progressivement conscience des besoins de l’autre. Finalement, cela pourrait être une manière d’être plus solidaires entre nous, entre acteurs diversifiés de l’économie sociale.

[1] Source : rapports sociaux de l’AViQ. A savoir que ces trois catégories ne reprennent pas les doubles ou triples handicap.

Découvrez le site internet de l’Eweta et les infos des festivités de leurs 60 ans.

 

Partagez :