Plaidoyer Elections 2024 – Les Entreprises de Travail Adapté, valorisées, ici et maintenant!
« Les entreprises classiques, quand elles embauchent, cherchent du personnel qui convient au travail. Dans les ETA, c’est un peu le contraire. On cherche quel travail peut convenir à la personne.« C’est ainsi qu’un responsable commercial explique la spécificité des Entreprises de Travail Adapté (ETA). Cette phrase résume bien la particularité du modèle mais aussi sa place dans l’économie sociale. Comme tout modèle qui sort de la norme, il est toujours complexe d’expliciter à d’autres le sens de son action et de faire reconnaitre son travail et sa place au sein du développement économique. Il n’y a souvent que lorsqu’on pénètre dans une ETA, qu’on rencontre les équipes, qu’on perçoit toutes les nuances d’entreprises qui mettent leurs travailleurs et travailleuses au centre de leurs activités.
Quand on veut donner un exemple concret du manque de prise en compte des ETA dans le développement économique, nous évoquons souvent à SAW-B la période du COVID. Nous pensons à trois moments qui illustrent pertinemment les opportunités et les difficultés rencontrées par les ETA. D’un côté, nous avons trois exemples, parmi d’autres, où la flexibilité des ETA a permis de se mettre rapidement en marche pour répondre à des demandes ponctuelles.
- ENTRA a répondu à des marchés publics lancés par l’AVIQ pour mettre en place un centre d’appel pour répondre aux besoins des citoyens en matière de Tracing et pour la prise de rendez-vous pour la vaccination.
- Les Ateliers Jean Del’Cour se sont chargés du conditionnement des kits de test développés par la société ZenTech en montant très rapidement une chaine de conditionnement.
- La Région bruxelloise a initié une ligne de production de masques anti-projection qui a été coordonnée par EcoRes et développée par l’ETA Travie.
Mais, à côté de ces trois réussites, on peut regretter que les ETA n’aient pas été conviées aux réflexions sur le développement d’une ligne de montage de masque Made In Wallonie. C’est une entreprise classique, Deltrian, qui s’est lancée dedans avec le soutien des acteurs wallons (gouvernement et Wallonie entreprendre notamment). Malheureusement, une fois le pic de la crise passée, Deltrian n’a pu pérenniser son activité en raison de la demande moindre et parce qu’elle n’a pas remporté un marché de l’AVIQ de commande de masques pour constituer un stock en Wallonie ce qui a définitivement enterrée la filière masque de cette entreprise. On peut se demander si, dans ce cadre, la spécificité des ETA qui cherche quel travail peut convenir à la personne n’aurait pas permis l’agilité et la flexibilité d’une activité économique qui ne doit pas être en action tout le temps mais seulement dans certains cas.
On le voit dans ces exemples, et encore plus dans le dernier: la finalité sociale des ETA peut être une véritable opportunité pour un développement économique à l’échelle locale, qui intègre des travailleurs qui trouvent, au sein des ETA, des lieux où ils peuvent se sentir utiles et être des acteurs à part entière de la société.
La réussite des ETA repose sur leurs démarches commerciales et économiques sur un marché très concurrentiel mais elles ne peuvent réussir leur pari social et économique sans une reconnaissance concrète de leur rôle par l’ensemble des acteurs institutionnels, politiques, économiques. Il faut pour cela qu’elles soient mobilisées, comme des entreprises plus classiques dans le développement de la Belgique et de ses régions, tout en respectant leurs spécificités. Sans cela, la pression économique d’un marché classique portera préjudice à leur finalité sociale en mettant les travailleurs et travailleuses sous une trop grande pression qui génèrera des conséquences humaines encore plus dangereuses que pour toute autre personne. Les ETA doivent devenir de véritables partenaires des acteurs institutionnels.
Cependant, pour que leur finalité sociale ne repose pas uniquement sur l’apport d’emplois, il pourrait être intéressant pour les ETA de voir leurs entreprises comme autre chose qu’un lieu d’activités économiques. En rassemblant dans un même lieu des personnes qui ne se côtoieraient pas, mais aussi qui ne trouveraient pas d’emplois dans les modèles traditionnels, les ETA sont des « îlots pour exprimer l’existence d’espaces de résistances et d’alternatives aux formes dominantes de vie sociale, pouvant à terme subvertir le cœur même du système social« [1].
Les ETA sont plus que des entreprises, ce sont des lieux où les personnes en situation de handicap peuvent trouver des espaces où leur handicap n’est plus le centre de l’attention. Le validisme qui a court ailleurs est, en grande partie en tout cas, mis de côté pour reconnaitre la personne pour ce qu’elle est et non en raison de son handicap. Dès lors, les ETA pourraient accompagner la participation économique et sociale par une participation démocratique en favorisant les opportunités de construire des lieux d’échange, d’apprentissage, de concertation, de conciliation entre personnes handicapées[2] et personnes valides, des lieux pour faire valoir leurs droits sociaux et humains, leurs droits à plus d’équité dans l’entreprise, mais aussi en-dehors.
Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be
[1] Rioufol, V. (2004). Approches de la transformation sociale dans les Forums sociaux : instantanés de recompositions en cours. Revue internationale des sciences sociales, 182, 613-625. https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2004-4-page-613.htm
[2] Sur la notion « personne handicapée et personne en situation de handicap, voir notre analyse sur les ETA.
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