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Responsable ou rentable, a-t-on vraiment le choix?

Responsable ou rentable?

Les législations favorisent-elles sans le vouloir l’optimisation fiscale, la déresponsabilisation environnementale, la surconsommation, le moins-disant social? Il semble bien pour certaines entreprises vertueuses et pour l’économie sociale que l’aspiration à agir de manière responsable se heurte durement aux réalités concurrentielles… Alors, à quand des règles plus strictes pour qu’on joue tous au même jeu?

 

Lors de la matinale de Matin Première ce 8 décembre, les invité·es parlent climat, COP28 oblige. A la fin de l’émission, il est question des entreprises.

Arnaud Ruyssen explique qu’il rencontre de nombreuses entreprises qui se préoccupent du climat. S’il y a du greenwashing chez certaines ou des micro-adaptations sans toucher au cœur des problèmes, d’autres vont beaucoup plus loin. Mais elles demandent, toujours selon lui : « Ce qu’on veut, ce sont des règles claires, imposées par les pouvoirs publics et qui soient les mêmes pour tout le monde parce que si, moi dans mon coin, je veux être vertueux mais que je suis face à des concurrents qui eux ne le sont pas, je ne vais pas m’en sortir« . Les règles ne leur font pas peur, elles demandent même qu’elles soient plus strictes. Mais surtout communes.

Delphine Missonne, chercheuse qualifiée au FNRS en droit, gouvernance et développement durable, enchaîne avec cette phrase : « C’est parfois la régulation qui libère, en mettant à niveau les concurrents potentiels« .

 

Il y a quelques mois, après l’annonce de Delhaize de franchiser tous ses magasins, un article évoquait la concurrence entre Delhaize et Colruyt. En effet, Colruyt a demandé à de nombreuses reprises des modifications et une harmonisation des commissions paritaires applicables dans la grande distribution qui génèrent des différences salariales conséquentes et créent de la concurrence déloyale entre magasins franchisés et intégrés. En effet, les différences salariales pour un même poste peuvent par exemple passer de 2300€ à 2700€ en fonction du type de magasin.

Thibaut Van Hoof, journaliste à La Libre, rebondissant sur cette situation titrait dans un article de La libre, faisant suite aux demandes de Colruyt d’harmonisation des commissions: « Le plus grand concurrent de Colruyt, ce n’est pas Delhaize ou Carrefour, c’est l’Etat belge« . Culotté ? Pas nécessairement. Le fait que Colruyt soit un groupe 100% belge, soumis à l’ensemble des législations belges et dans l’incapacité de renforcer son optimisation fiscale par une internationalisation accrue[1] de ses affaires comme l’a fait Delhaize, le désavantage face à ses concurrents. Le journaliste conclut que l’Etat belge est incapable d’imposer une fiscalité aux multinationales.

 

Soyons francs, mal faire les choses aujourd’hui est bien plus porteur que de respecter la nature et l’environnement, les droits sociaux des travailleurs et travailleuses ou tout simplement de payer son impôt des sociétés. Amazon, Shein, Total… ne sont que la partie émergée d’un iceberg, bien d’autres entreprises suivent les mêmes logiques. Limiter la durée de vie d’un produit pour inciter au rachat, exploiter les populations de Chine, du Vietnam ou du Bangladesh, corrompre des gouvernements pour construire des pipelines qui détruisent la planète, délocaliser, imposer des cadences folles ici ou ailleurs, remplacer les travailleurs par des machines, vendre des aliments bourrés de produits toxiques… Toutes ces choses rapportent plus et sont bien plus valorisées socialement et politiquement.

Chercher à bien faire, c’est une montagne de difficultés en plus, tout en gagnant moins et en se faisant montrer du doigt par celles et ceux qui disent: votre modèle économique n’est pas rentable, vous devez vous professionnaliser, vous devez être plus compétitif, changer d’échelle, vos engagements sociétaux ou environnementaux nous font perdre de l’argent[2]

 

Les marchés publics sont un autre exemple de cette dérive. La logique du prix est l’angle privilégié pour l’ensemble des marchés publics, peu importe la qualité. On le voit encore ces derniers jours avec la concession sur la distribution des journaux. Alors que la qualité du service et les conditions de travail chez PPP sont dénoncées, la société est arrivée en tête pour obtenir la concession. Pourquoi? Elle est beaucoup moins chère. Mais il faut se demander pour quelles raisons? Combien de fois encore devrons-nous être confrontés à des marchés publics remportés sur base des prix sans que la qualité du service et de l’emploi[3] ne soit au rendez-vous?! N’est-il pas temps de s’attaquer à ces dérives?!

 

Cette logique du « mal faire rapporte plus » est loin d’être un problème uniquement étatique. En tant que consommateur et consommatrice, nous faisons parfois/souvent/toujours la même chose. Pas nécessairement parce que c’est ce que nous voulons, mais parce que les circonstances nous y incitent par manque de temps, de moyens, d’information, poussés par des normes sociétales, par la publicité, par nécessité.

 

L’économie sociale, depuis des décennies, veut bien faire. Elle propose des emplois ici à des personnes qui souvent ne trouveraient pas d’emploi ailleurs, des produits issus des circuits-courts et de l’agroécologie, des objets ou vêtements de seconde main moins chers et de très bonne qualité, de la culture à des prix accessibles, des médias où les journalistes sont payés correctement et qui rejettent les titres « putaclic »… Mais tout cela a un prix !

 

Bien faire n’est pas vendeur… Ce sont les règles du jeu qui doivent changer !

 

Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be

[1] Ce qui n’empêche pas Colruyt d’avoir une société à participation au Grand-Duché de Luxembourg.

[2] On peut penser à la démission du CEO de Danone ou encore les annonces récentes du groupe Disney de revenir à des films plus classiques, intégrant moins des préoccupations en termes de diversité de genre, culturelle…

[3] Le marché public autour de la distribution des journaux est un exemple de la logique prix au détriment de la la qualité du service et de l’emploi https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/distribution-de-la-presse-les-editeurs-vont-dans-les-details-avec-ppp/10510399.html

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