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Crédal – Pionnière des questions de genre en économie sociale.

Equipe Crédal
Si en ce mois de mars, qui rappelle l’importance de lutter pour les droits des femmes, nous avons choisi de mettre Crédal à l’honneur, c’est que la coopérative est aussi une pionnière sur les questions de genre. De plus, Crédal a 40 ans cette année! Son éthique et sa motivation première n’ont pas changé depuis sa création en 1984. Pour en parler, nous avons interviewé Patricia Cardon, directrice de l’accompagnement.

 

À l’époque, quand on plaçait son argent dans les principales banques belges, on se retrouvait malgré soi à soutenir l’apartheid en Afrique du Sud. Des citoyens et des associations ont alors développé la coopérative Crédal : pour que l’argent placé en banque puisse soutenir des projets locaux dans le but de lutter contre l’exclusion et les inégalités sociales en Wallonie et à Bruxelles. « Aujourd’hui encore, ces fonds placés par les coopérateurs et coopératrices servent uniquement à financer des projets d’économie sociale (des associations et des coopératives), des entrepreneurs et des entrepreneuses qui n’ont pas accès au crédit bancaire, ou encore des personnes en situation précaire », nous partage Patricia Cardon directrice du Pôle Accompagnement. À côté de ses activités de crédit, Crédal a développé des activités d’accompagnement, autant pour les personnes qui souhaitent se lancer, que pour aider au bon développement des projets d’entrepreneuriat social.

 

Interview de Patricia Cardon de CrédalQui est Patricia Cardon, directrice de l’accompagnement chez Crédal.

Je suis sortie de mes études à la Louvain School of Managment en 99, avec un mémoire sur le microcrédit. J’ai passé plusieurs années à l’étranger dans le milieu de la coopération notamment, passionnée par les enjeux spécifiques de l’Afrique. Vers 40 ans, j’ai eu l’envie de me recentrer sur la situation locale en Belgique. J’ai travaillé quelques mois pour l’ASBL Réseau Transition et ça m’a donné l’envie de faire davantage d’accompagnement d’associations et coopératives. C’est ainsi que je suis arrivée chez Crédal, d’abord en tant que conseillère en agence-conseil, puis en tant que coordinatrice et enfin directrice de l’accompagnement.

À côté des enjeux de gestion financière, les enjeux de genre ont toujours été centraux pour moi. J’ai énormément lu sur le sujet. En 2018, dans le cadre d’une formation de coach, j’ai réalisé un travail sur l’accompagnement des femmes en milieu de vie. À cause entre autres de la difficile conciliation vie privée vie professionnelle et les freins que les femmes continuent à se mettre, celles-ci n’arrivent pas à développer des activités qui leur tiennent à cœur!

 

Dans le milieu de l’économie sociale, on constate que malheureusement les questions de genre sont encore souvent esquivées et constituent une sorte de «non-sujet». Les organismes d’économie sociale, puisqu’ils se veulent au service des humains, quel que soit notamment leur genre, leur race, leur milieu socioculturel et économique, se croient naïvement à l’abri des inégalités et discriminations de genre. Crédal a proposé de poser concrètement la question dans le cadre d’un projet pilote Les femmes dans l’économie sociale qui a démarré par une étude sur le sujet au Centre d’Economie Sociale – HEC Liège[i]. Depuis la publication de l’étude, ainsi qu’un kit d’outils[ii] et un colloque réalisés sur le sujet, de petites graines continuent à germer chez SAW-B et dans les différentes agences-conseil en Economie Sociale.

 

Patricia, qu’est-ce qui s’est passé en interne, chez Crédal, pour que, déjà dans les années 2000, vous vous intéressiez à ces questions?

C’est Marie Ledent, ma prédecesseure, qui a mis beaucoup d’énergie pour démarrer les premiers projets de prise en considération des enjeux d’égalité entre les hommes et les femmes. En 2005, elle lance : Affaire de femmes, femmes d’affaires, suite au constat que peu de femmes faisaient des demandes de microcrédits, même si le microcrédit se révèle particulièrement adapté aux entrepreneuses, souvent réticentes à la prise de risque. L’idée de ce projet était triple : faciliter l’accès des femmes aux financements, leur donner un accompagnement spécifique afin de surmonter les embuches qu’elles rencontrent pour entreprendre et leur offrir un lieu non mixte où elles peuvent échanger entre elles et s’entre-aider.

Il a fallu attendre une dizaine d’années pour que ce type de projets se multiplie. Chez nous, depuis 2016, on voit qu’on arrive davantage à obtenir des financements pour ce genre de projets sur Bruxelles et en Wallonie. À présent, de plus en plus de structures s’y mettent, ce qui est vraiment positif.

 

Si les femmes restent victimes de discriminations, celles issues de la diversité le sont davantage encore. Est-ce que c’est une chose à laquelle vous avez pu vous attaquer?

Mais oui. Ce qui est passionnant quand on s’attaque aux enjeux de genre, c’est qu’ils nous forcent à analyser les rapports de pouvoir de manière plus globale. Quand tu veux accompagner des publics souffrant de discriminations, tu dois comprendre les freins qui leur sont spécifiques, identifier comment leur redonner confiance. C’est une réalité à laquelle on est confronté aussi dans les accompagnements qui se font via les SAACE (structures d’accompagnement à l’autocréation d’emploi). On y retrouve essentiellement des projets alimentaires et d’artisanat portés par des personnes de milieux sociaux divers. On a aussi des femmes issues de la diversité qui font des demandes de microcrédit. Sur Bruxelles, notre projet Inform’Elles, réalisé avec Women in Business, un hub pour l’entrepreneuriat féminin, avait vraiment pour vocation de développer un accompagnement spécifique aux femmes issues de la diversité.

 

Est-ce que ces réflexions envers vos publics ont impliqué des changements en interne?

Pour moi, il était hors de question qu’on accompagne sur les enjeux de genre, si Crédal ne se posait pas la question en interne d’abord. C’est donc un long chemin qu’on a démarré. On a réalisé un diagnostic «genre» en interne, coordonné par l’une de nos travailleuses, avec une étudiante du Centre d’Economie Sociale – HEC Liège. Le rapport réalisé est plutôt positif : on a par exemple une bonne parité dans notre Organe d’Administration et notre comité de direction, il y a un vrai respect de l’équilibre entre vie privée et professionnelle chez nous, …

Mais le rapport a bien entendu aussi souligné des améliorations possibles qu’on a tenté d’intégrer dans un plan d’actions en comité de direction : identifier une personne référente genre, adopter l’écriture inclusive en favorisant les doublons et mots épicènes tout en évitant le point médian peu lisible pour notre public, former nos facilitateurs et facilitatrices pour veiller aux équilibres de temps de paroles, mettre en évidence dans nos rapports nos propres statistiques relatives aux enjeux de genre,… Ce plan d’action sera très prochainement communiqué à l’équipe et mis en place.

On a aussi reçu un nouveau financement pour lequel nous aimerions inclure un maximum d’agences-conseil. C’est en travaillant ensemble et en se remettant en question ensemble qu’on sera plus fort. L’objectif de ce financement est de permettre aux accompagnateurs et accompagnatrices des agences-conseil de se former sur ces questions et de modifier en conséquence leurs pratiques internes et leur accompagnement.

 

Avez-vous rencontré des résistances en interne? Comment les avez-vous gérées?

Bien sûr. Souvent les résistances partent d’une incompréhension et méconnaissance des questions des rapports de pouvoir. L’enjeu est de former de manière continue les nouvelles personnes qui arrivent, pour aider chacun, chacune, à réaliser ces enjeux et leurs impacts sur les personnes concernées. La difficulté également est que les enjeux de genre sont transversaux mais ne sont jamais vus comme des enjeux prioritaires. Obtenir un financement pour traiter les questions de genre est, en ce sens, une vraie plus-value.

 

Patricia, tu aimerais partager un dernier mot?

Tout ce travail et ces réflexions pionnières sur les enjeux de genre n’ont été et ne sont toujours possibles que parce qu’on a des coopératrices et coopérateurs qui placent leur argent dans la coopérative. On a continuellement besoin de l’apport de nouveaux fonds. Et chaque euro compte. Merci à toutes celles et ceux qui sont déjà membres. Et bienvenue à tous les autres : on peut devenir coopérateur à partir de 10 euros. Ce premier juin 2024, nous fêterons nos 40 ans. Ce sera l’occasion de mettre à l’honneur toutes ces personnes qui ont rendu nos activités possibles.

[i] Elodie Dessy, 2022, «Le genre, angle mort de l’économie sociale ? Recommandations et pistes d’action pour une approche genre dans l’économie sociale en Région Wallonne», Crédal et HEC Liège, Belgique.

[ii] Crédal, 2022, «Kit d’outils Genre à destination du secteur de l’économie sociale»,  https://www.credal.be/storage/2048/Credal_kitoutilsgenre_WEB.pdf

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