EDITO – Vivre la démocratie, bien au-delà des résultats des urnes.
Le verdict des urnes est tombé. Les uns se réjouissent, d’autres sont dépités. C’est le jeu démocratique. L’électeur a toujours raison, tout simplement parce que son choix ne peut être invalidé avant la prochaine élection, qu’on soit d’accord ou non avec lui.
Si ce choix ne peut être remis en question, cela ne signifie pas que tout est terminé et que les citoyen·nes peuvent ou doivent retourner à leurs affaires en attendant la prochaine échéance. Même s’il est vrai qu’une autre échéance arrive cette fois-ci bientôt, avec les élections communales et provinciales d’octobre. La démocratie n’est pas l’Eurovision où des téléspectateurs votent une fois pour celui ou celle qui a touché leur cœur, oubliant presque directement le nom du ou de la gagnante. La vigueur démocratique ne se mesure pas à la popularité des uns et des autres au soir d’une élection. Elle est aussi le fruit d’une possibilité permanente d’entrée en discussion plus ou moins franche, intense, massive ou discrète avec les représentant·es élu·es. Le vote n’est pas un blanc-seing inconditionnel. Les urnes parlent à la suite de leur convocation, le peuple peut lui s’exprimer à tout moment, en usant de toutes les formes démocratiques d’expression et de protestation. Un résultat électoral est donc, aussi, juste un choix à un instant donné. C’est important de se le rappeler et de le rappeler également aux élu·es du 9 juin.
Que nous soyons ou non satisfait·es du résultat des élections, il est intéressant de prendre un peu de recul sur cette campagne électorale, mais aussi des échanges politiques pendant toute cette législature qui a bien des égards ont été empreints de davantage d’agressivité que de coutume. Alors que nous sommes habitués à observer une telle agressivité dans les rapports politiques existants en France, nos contrées sont connues pour leurs capacités de compromis et de négociation, habituellement plus policés.
Il existe un biais cognitif qu’il est intéressant de mobiliser, même s’il ne s’agit pas d’une analyse scientifique validée : le biais d’intention hostile. Celui-ci consiste à attribuer à tel comportement des intentions hostiles plutôt que de chercher des facteurs explicatifs externes. Ce biais peut se développer entre individus mais aussi entre groupes. Donnons quelques exemples pour mieux comprendre.
- Si les chômeurs ne veulent pas travailler c’est parce qu’ils sont fainéants et/ou qu’ils veulent profiter du système.
- Si des femmes musulmanes portent le voile, c’est parce qu’elles veulent imposer un islam politique.
- Si le patronat est contre l’augmentation des salaires, c’est parce que les patrons veulent plus d’argent pour eux et pour les actionnaires.
- Si les gens ne veulent pas de Good Move, c’est parce qu’ils veulent pouvoir circuler en voiture comme ils l’entendent.
On pourrait citer nombre d’exemples de ces petites phrases. Certaines d’entre-elles sont peut-être vraies en totalité, majoritairement ou partiellement. La question n’est pas là, elle est plutôt dans cette habitude de voir des intentions hostiles de manière générale et globale liées à des facteurs internes (donc en lien avec les intentions de la personne) sans tenir compte des facteurs externes. C’est finalement la même chose que lorsqu’à un échelon plus individuel, on attribue la réussite de quelqu’un à sa seule ambition et capacité personnelle plutôt qu’à des facteurs favorables dans son environnement.
Le plus intéressant dans ce biais d’intention hostile, c’est son lien avec l’agressivité. Car «les personnes qui sont plus susceptibles d’interpréter le comportement de quelqu’un d’autre comme hostile sont également plus susceptibles d’adopter un comportement agressif .[1] Et ceci pourrait en partie expliquer cette ambiance qui a dominé les débats pré-électoraux, l’hostilité des uns renforçant celle des autres. D’autant que cette ambiance n’a pas, contrairement à ce que disent certains, permis d’avoir un débat sur le fond, basé sur des projets politiques pour la Wallonie, Bruxelles ou la Belgique en général. Résultat: si la campagne a permis d’imaginer plus ou moins qui va perdre des plumes ou qui va en gagner, il n’a pas été débattu de comment on va concrètement créer de l’emploi, dans quel secteur, pour répondre à quels besoins de la société et en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux.
Les petites phrases, les anathèmes et par exemple la réduction des droits des uns et des autres, ce n’est pas cela qui construit un projet à cinq, dix ou quinze ans, qui améliore la situation de toute la population qu’elle soit en bonne ou en mauvaise santé, riche ou pauvre, au travail ou non, réussissant ou non à l’école. Ce n’est pas ça non plus qui tient compte des limites planétaires et des dérèglements climatiques. Le projet économique, social, culturel, politique, environnemental ne peut pas juste être une liste de propositions sans une vision collective, construite et partagée.
Finalement, quel que soit le sentiment qui prédomine en chacun de nous pour ces nouvelles législatures, nous espérons surtout que chacun·e sera à la hauteur des enjeux et que, si ce n’est pas le cas, nous aurons la force de le dire et de demander des comptes à celles et ceux qui ne se gênent pas pour exiger beaucoup de nous.
Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be
[1] Wikipédia: biais d’attribution consulté le 15 juin 2024.
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