EDITO – Industrialisation de l’économie sociale: un pari gagnant?

En 2018, à Bilbao, lors du Forum mondial de l’économie sociale, nous avions visité des industries en économie sociale qui font partie du groupe coopératif Mondragon. Les principales industries du groupe travaillent pour le secteur automobile ou pour l’électroménager. Une des entreprises visitées a été une entreprise privée classique. En difficulté, les travailleurs et travailleuses ont racheté l’entreprise et la gèrent collectivement depuis lors. Le modèle n’est pas parfait, loin de là, et les dérives sont nombreuses[1] mais il a le mérite d’exister et il prouve qu’il est tout à fait possible de développer de l’industrie, d’être compétitif sur un marché concurrentiel, d’offrir des salaires plus élevés que dans le reste de la région tout en étant dans un modèle d’économie sociale.
Ces visites sont inspirantes et elles contribuent à nourrir les échanges entre les membres de l’équipe de SAW-B. Elles s’ajoutent à une longue liste d’intérêts et de conversations sur le sujet. La crise du Covid en 2020 et la quasi-découverte – même si de nombreuses personnes alertaient sur cette situation depuis très longtemps – de la dépendance européenne pour des produits stratégiques et des besoins essentiels aux industries asiatiques surtout, a été un autre élément déclencheur. Quand les relations commerciales mondiales se sont « apaisées », cette dépendance est repassée sous silence mais la guerre en Ukraine, l’élection de Trump et ses atermoiements incessants sur les droits de douane nous rappelle la nécessité d’une reprise en main sur la situation industrielle de l’Europe en général et de la Belgique en particulier.
Depuis quelques mois, SAW-B a créé un groupe de travail, d’abord interne, sur cette question de l’industrialisation de l’économie sociale. Par industrialisation de l’économie sociale, nous entendons le passage à l’échelle industrielle de structures ESS – c’est-à-dire la forte augmentation de la force de production – par le développement de structures existantes ou par la création de nouvelles structures dans une logique d’expansion territoriale grâce à l’essaimage. Le premier acte public de ce travail est une matinée de réflexion le 3 juillet 2025 à Charleroi (site de Monceau-Fontaines). Après une introduction sur la situation actuelle et à venir de l’industrie en Belgique par Bruno Colmant, nous réfléchirons en atelier sur les freins et leviers en matière économique, de ressources humaines, de prospective et sur des aspects techniques comme les financements, le foncier…
En préparant cette matinée, nous avons discuté avec de nombreuses personnes. Les réactions se partagent entre « Waouh, c’est génial ! » et un mélange d’amusement, de suspicion, voire un petit rire moqueur sur un sentiment de doux rêveur. Comme si, aujourd’hui, il n’existait pas déjà de l’industrie en économie sociale en Belgique francophone. Lors de cette matinée, vous en entendrez quelques-unes qui ont accepté de s’exprimer ce jour-là. On peut penser à Coopeos, à Entra, aux Ateliers Jean Del’Cour, aux Dauphins mais aussi à des centres d’insertion socio-professionnelle qui forment à des métiers techniques et industriels.
On parle souvent de la désindustrialisation de l’Europe et, facilement, ont attribue cette situation à un manque de compétitivité liée à des salaires trop élevés, la réponse serait alors de réduire la fiscalité pour réduire le coût du travail. Dire cela, c’est faire fi de nombreuses observations. Tout d’abord, ce n’est pas toute l’Europe qui est confrontée à ce phénomène. L’Allemagne, par exemple, maintient un bon niveau d’industrialisation en raison, notamment, de sa gouvernance en entreprise qui accorde une place forte aux travailleurs et travailleuses[2] mais aussi de choix politiques forts pour maintenir les investissements en matière industrielle. L’autre problème, souvent négligé, consiste à ne pas voir le rôle structurant des industries pour un territoire. Alors que les services sont souvent concentrés dans les grandes villes, les industries sont davantage hors des seules métropoles. Elles jouent alors un rôle important dans le développement territorial avec la création d’une dynamique et d’un écosystème autour de cette industrie.
Cibler une industrialisation, dans ou hors de l’économie sociale, ne peut se faire aujourd’hui sans intégrer les enjeux environnementaux. Et bien au-delà de la question de la décarbonation. Les questions de biodiversité, d’utilisation parcimonieuse de l’eau… sont tout aussi cruciales.
Face à ces défis, l’économie sociale a de nombreux atouts dans sa manche pour jouer un rôle dans cette nouvelle industrialisation. En effet, son organisation démocratique, sa finalité sociale primordiale qui cherche à développer des entreprises là où vivent les travailleurs et travailleuses, les consommateurs et consommatrices, son organisation démocratique, ses préoccupations environnementales, même si sur ce terrain de nombreux efforts doivent être encore fournis, son implication dans le développement d’un esprit d’entreprendre dès l’école et tout au long de la vie, sa capacité de reterritorialisation de l’économie, ses filières de formation professionnelle…
Bref, l’économie sociale peut et veut faire partie d’une dynamique industrielle tout en étant consciente que de nombreux freins à ce déploiement existe. Nous aurons l’occasion d’identifier les clés d’un diagnostic et de faire émerger les leviers d’actions concrètes pour faciliter l’industrialisation de l’ES le 3 juillet et dans les prochains mois avec toutes celles et ceux qui ont envie de se lancer avec nous, et en premier lieu, de nous rejoindre le 3 juillet !
Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be
[1] Voir à ce sujet le documentaire « Des Fagor et des Brandt » https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/19392_0
[2] Lire par exemple https://lecercledeseconomistes.fr/articles/industrie-innovation/quels-choix-en-matiere-de-reindustrialisation/
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