INTERVIEW – Campus durable: l’impact concret d’un marché public responsable.

Réemployer des matériaux. Créer de l’emploi là où on l’attend le moins. Aménager des lieux qui rassemblent. Voilà les objectifs atteints grâce à une commande publique portée par l’ULB et réalisée en partenariat avec Impact Furniture by Oxfam. Ce projet démontre que les marchés publics peuvent, quand ils sont pensés avec ambition, devenir de véritables leviers de changement. Plus qu’un aménagement, c’est une vision partagée qui s’est concrétisée. Et si c’était ça, la norme de demain ? Rencontre avec Pauline Goffinet de l’ULB et Jean-Michel Verlinden de Impact Furniture by Oxfam.
Pauline, peux-tu te présenter, expliquer quel était l’objet du marché et en quoi on pourrait le qualifier de marché responsable?
Je suis architecte et urbaniste et je travaille au service planification de l’ULB. Nous travaillons sur la stratégie immobilière et la gestion des espaces pour les infrastructures de l’Université.
Le projet que nous avons développé avec Oxfam prévoyait d’aménager des lieux de convivialité au sein du Campus, notamment du mobilier. Cette demande émanait principalement des étudiants.
Depuis plusieurs années, l’Université tend à diminuer son empreinte carbone et a mis en place différents plans stratégiques en ce sens, avec plusieurs objectifs de durabilité, dont la volonté d’augmenter la part de mobilier de seconde-main. C’est dans le cadre du projet Usquare, porté par l’ULB et la VUB et axé sur l’économie circulaire, qu’un contrat-cadre a été défini avec différentes sociétés de mobilier de seconde-main ou upcyclé.
La durabilité, ce n’est pas que la dimension environnementale, c’est pourquoi le cahier des charges intégrait également un critère d’attribution relatif aux aspects sociaux d’intégration ou de réinsertion.
Oxfam fait partie des sociétés sélectionnées et c’est dans ce cadre que nous avons collaboré avec eux pour ce projet.
Impact Furniture by Oxfam avait cette double mission et expertise – sociale et circulaire – déjà démontrée dans plusieurs marchés publics. Ils ont proposé du mobilier fabriqué à partir d’anciens plateaux de bureaux récupérés, puis transformés dans une entreprise de travail adapté en Belgique.
Jean-Michel, peux-tu te présenter, présenter ton entreprise d’économie sociale (mandatée en insertion) et ses missions?
Je suis responsable d’Impact fourniture by Oxfam, le secteur immobilier de bureau d’Oxfam qui existe depuis 24 ans. Actuellement, nous avons deux divisions: une de seconde main et une division up-cycling. Et nous avons trois missions principales.
Notre première mission, c’est financer des projets Oxfam.
Notre deuxième mission est circulaire : on essaye de revaloriser au mieux, d’abord en l’état, et quand ce n’est pas possible, on upcycle les objets.
Notre troisième mission est sociale bien entendu. Nous faisons de la réinsertion sous contrat article 60, de la réinsertion de personnes en situation de handicap avec Le Phare, et aussi de la réinsertion carcérale.
Comment as-tu pris connaissance du marché et décidé d’y répondre?
L’ULB cherchait des marchés inspirants et est tombé sur le marché «Gisements» que nous avons avec la Commission européenne (marché public de 6 ans commencé en 2020 où on récupère tous leurs déchets de mobilier et on les revalorise). Ils nous ont consulté, ainsi que d’autres opérateurs de la circularité, pour bénéficier de notre expérience lors de ce qu’on appelle, une consultation préalable.
Quand le marché est sorti, j’ai décidé d’y répondre car je pars du principe que tout est valorisable (circularité) et que tout marché public peut être intéressant.
La difficulté, c’est d’avoir le temps, l’espace, etc. L’aspect social était intégré au marché et c’est très important car cela permet de prendre en compte une expertise et une plus-value sociale que nous apportons dans l’évaluation des offres. Mais cela permet aussi de prendre en compte certaines réalités comme les délais de fabrication qu’implique une sous-traitance auprès d’une entreprise de travail adapté (le prémontage a été réalisé entièrement par l’ETA Val du Geer dans ce projet).
Clairement, notre force par rapport aux autres, c’est d’avoir le mandat d’économie sociale d’insertion. Nous sommes une entreprise mais avec un côté social en plus. Quand je travaille avec des entreprises privées conventionnelles, je suis souvent abasourdi du comportement qu’ils ont avec leur personnel. Pour nous, faire de l’argent, ce n’est pas le plus important. C’est un moyen pour accomplir nos missions.
Pour le reste, ce que je trouve très, très pénible face aux marchés publics en général, c’est l’administratif. Il faut avoir des bonnes ressources en interne pour gérer au mieux cet aspect-là.
Comment s’est déroulée la collaboration tout au long du projet?
P : Cela s’est fort bien passé. Les échanges étaient fluides et, oui, effectivement, c’était espace-temps un peu différent mais qui est tout à fait entendable. J’avais une autre expérience où on avait aussi eu un chantier avec des clauses sociales. Cela s’était super bien passé et la personne avait même été embauchée dans l’entreprise. Il faut remettre les choses en perspective: cela vaut la peine!
J-M : J’ai pour principe qu’il peut se passer quoi que ce soit en interne ou en externe, la cliente/le client doit être content·e (j’ai une formation de marketing 😉) et j’ai l’impression que Pauline est contente! Et puis la communication a été exceptionnellement bonne et participative.
L’impact du partenariat en bref?
- Une septantaine panneaux HPL qui devaient incinérés et ont été réemployés.
- Une personne en situation de handicap mental léger ainsi qu’une personne en réinsertion sociale ont bénéficié d’une formation.
- Tout a été prémonté en ETA (Val du Geer) : une dizaine de personnes en situation de handicap ont bénéficié d’une formation spécifique (découpe pilotée par informatique).
- Une collaboration réussie.
- Une grande satisfaction de tous les utilisateurs du campus qui ont été impliqués dans la construction du projet.
- Un clip vidéo commun réalisé pour partager l’expérience et inspirer.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris positivement dans le partenariat?
P : Impact Furniture by Oxfam est venu sur place, s’est imprégné des lieux, a écouté les besoins et s’est adapté. La communication a été fluide tout du long. Toute l’équipe était présente pour le montage. C’est rare d’avoir tous les profils réunis!
J-M : La communication (des client·es comme cela, je viens tous les jours !). Nous avons réussi à bien meubler ces couloirs particulièrement froids et on constate que les aménagements sont bien utilisés aujourd’hui. En plus, ce projet fait tâche d’huile.
Auriez-vous un conseil pour les autres ASBl/Entreprises d’économie sociale?
P : Qu’elles n’hésitent pas à intégrer des exigences sociales et circulaires. C’est important de prendre ses responsabilités d’acheteur. Il faut que cela rentre dans les habitudes.
J-M : Il y a énormément d’expertise au sein des entreprises d’économie sociale et la précision du travail en ETA est incroyable: nous avons tout pour répondre au mieux aux marchés publics. Beaucoup n’ont pas conscience du levier que cela représente… Même si c’est vrai que le frein administratif est lourd et qu’il faut trouver quelqu’un pour s’en occuper.
Un mot pour la fin?
P : Vivement le prochain projet!
J-M : Pour moi aussi!
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