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AGRICOVERT – une coopérative de productrices et producteurs locaux qui nourrissent, autrement

Hochul_agricovert

En 10 ans d’existence, la coopérative Agricovert a rassemblé la confiance de dizaines de producteurs (maraichers, céréaliers, éleveurs…) ainsi que de consommateurs. Une initiative basée sur la collaboration et qui base son organisation sur les principes de l’économie sociale. Pour l’occasion, nous avons discuté pendant près d’une heure avec Pia Monville, productrice et coordinatrice logistique et journalière de la coopérative.

Imaginez-vous, une communauté qui résiste encore et toujours à l’envahisseur ; ces supermarchés remplis de produits importés, d’emballages plastiques à ne plus savoir quoi en faire, où l’éthique et le prix juste ne sont qu’une trame de fond distillés dans des campagnes marketing. Ici, chez Agricovert, les étals sont réservés aux produits de saison, à la découverte de légumes inconnus, au dialogue, à l’insertion et à la rencontre.


Aux origines : les mains dans la terre

« Au départ, ce qui fait qu’Agricovert a fonctionné (et marche toujours aussi si bien), c’est que l’un des fondateurs, Hochul, travaillait au sein de l’asbl Crabe et y formait des ouvriers-maraichers. Il allait chaque semaine chez eux pour leur rendre visite, les aider. Il connaissait leur vie, leurs difficultés et leurs points forts et faibles. C’est via cette expérience qu’il a établi cette coopérative qui nous soutient dans notre quotidien, que dès le début de nombreuses personnes ont adhéré au projet et y ont mis leur confiance et leur argent. C’est un projet construit depuis la base, pas dans un bureau ou un cabinet ministériel ».


Autogestion, par tous, pour tous

« Chez Agricovert, les producteurs·trices sont dans le conseil d’administration, aux côtés des consommateurs. La logique de la coopérative et ses statuts font que rien n’est décidé sans l’accord de tous et toutes. Le jeu d’équilibre entre producteurs et consommateurs se faire de manière directe. En intégrant le projet, on savait que nous ne serions jamais piégés, qu’on pourrait tout gérer nous-mêmes. C’est un outil de commercialisation qui reste entre nos mains ». Depuis sa création, Agricovert ne s’est pas retrouvée englobée dans un autre projet de grossiste ou appâté par une grande surface : « on décide comment on fait du commerce, les prix d’achat et de vente. On soutient les producteurs mais aussi les consommateurs·trices et nous sommes accessibles à tout le monde ».

 


Pia Monville (et Cédric), productrice et coordinatrice logistique et gestionnaire journalière d’Agricovet

Pia a 46 ans et a vécu plusieurs vies avant de rejoindre Agricovert. D’abord engagée dans un parcours assez classique : études, université, enseignante, économiste à Bruxelles, employée dans un cabinet ministériel. Et puis, elle décide de changer de vie. Aux côtés d’Hochul, de son compagnon Cédric, et d’autres producteurs et productrices, elle crée la coopérative Agricovert il y a 10 ans.

 

 


Une production
spécialisée et à taille humaine

Une plus-value importante chez Agricovert est le travail des producteurs·trices sur de petites surfaces. « Nous avons rédigé une charte de qualité grâce à laquelle je suis certaine que si j’achète des pommes de terre d’un autre producteur, je les achète comme moi j’aurais voulu qu’elles soient : écologiques, sans exploitation de main-d’œuvre, dans le respect du sol cultivé. Personnellement, je possède une petite surface avec une terre très sableuse, et je ne suis pas mécanisée. Grâce à ce système, je peux respecter mon sol, me respecter moi et je trouve chez d’autres producteurs la marchandise que je ne peux pas produire. Moi, je suis spécialiste des fraises. Des fraises qu’on peut aussi ensuite proposer aux autres producteurs de la coopérative qui n’ont pas les terres adéquates et le savoir-faire ».


Des conditions de travail fragiles
 : il faut en parler !

Le jeudi 7 octobre ont été organisées les Equi-Tables. Un moment de réflexion en partenariat avec SAW-B, consacré principalement aux conditions de travail dans le secteur agricole. Les participant·es ont été invité·es à débattre autour d’un repas. À chaque table il était possible de discuter avec un producteur ou une productrice : « Même avec des initiatives comme la nôtre, la vie des producteurs, des maraichers et des éleveurs reste vraiment délicate. Nous sommes le parent pauvre, celles et ceux qui travaillent pour nourrir les autres, et triment dans un rythme effréné ».  A ce propos, le magazine Tchak ! titrait en juin dernier « saisonniers agricoles : ces forçats qu’on ne veut pas voir ». La journaliste y dénonçait les conditions de travail précaires en Flandre et en Wallonie. « Agricovert met un point d’honneur à faire de l’insertion sociale. On veut savoir dans quelles conditions les gens qui sont engagées travaillent. Car comment une personne qui travaille jour et nuit peut avoir le temps d’engager quelqu’un pour l’aider ? Cet article de Tchak ! nous a beaucoup touché·es, c’est pourquoi nous voulions mettre cette thématique sensible en avant, au-delà de l’aspect festif de la soirée. Pour vous faire une idée, la durée moyenne de travail d’un maraicher est de sept ans. Après, c’est souvent l’épuisement ». 


L’après-
covid
 : renaissance ou déception ?

Il y a près d’un an, nous réalisions l’interview de Jean-Philippe Habran, responsable RH de la coopérative. Nous l’interrogions par rapport aux adaptations nécessaires durant la période covid, la gestion de la coopérative, et les relations avec les clients. Il nous racontait la venue en masse des gens au magasin de la coopérative pour y faire des réserves, une explosion des commandes en ligne et de manière générale une réorientation des comportements de consommation hors des circuits habituels vers les circuits-courts. Nous étions curieux·ses de savoir ce qu’il en était un an plus tard, maintenant que le situation est revenue à la « normale » : « C’est une question intéressante et importante. Chez nous, on observe deux choses. D’une part, au magasin, nous avons réellement gagné des clients, plus de gens viennent et continuent de venir. Un lien s’est créé avec des gens qui ne nous connaissaient pas avant la crise et ces personnes sont convaincues qu’elles viendront encore pendant les 10 prochaines années. D’autre part, du côté de la vente en ligne, on est revenus à une moyenne similaire à celle d’avant le coronavirus. On observe une certaine amertume de certains producteurs et productrices car beaucoup se sont décarcassés. Ils se sont dit « enfin, c’était le déclic qu’il manquait ». C’est difficile pour eux car c’est lié à quelque chose de plus émotionnel. Ils ont tout fait pour qu’ils vivent au mieux et maintenant, ces personnes ont déserté… »


Cultiver la souveraineté alimentaire légume après
 légume

Malgré ces difficultés, Agricovert souhaite développer ses pratiques pour construire une souveraineté alimentaire sur son territoire : « On est sur plusieurs fronts. On essaie de stimuler l’installation de nouveaux producteurs pour croitre l’offre de production pour les humains, c’est-à-dire ne pas cultiver des betteraves pour la production de sucre ou le maïs pour nourrir les cochons. On fait aussi de la sensibilisation auprès des consommateurs pour qu’ils achètent des produits de saison. Non, ce n’est pas possible de manger des tomates toute l’année ! Et je ne connais pas beaucoup d’endroits où les clients ont compris cela et continuent de venir au magasin même si en hiver, il n’y a pas de courgettes, d’aubergines, mais du choux et du panais pendant plusieurs mois. Notre astuce est d’offrir une alternative en ayant au magasin un éventail de légumes qu’on retrouve moins souvent dans les étals. On les fait découvrir aux clients et on leur explique comment les manger, les cuisiner. Si on veut atteindre la souveraineté alimentaire, il faut manger moins de viande et apprendre à aimer et consommer les produits disponibles à l’endroit et au moment où ils sont disponibles ». Pia déplore également la tournure commerciale qu’a pris le bio aujourd’hui : « On défend et promeut le panier de légumes, même si cela devient difficile avec la floraison des magasins bio. Il y a 10 ans, ceux et celles qui voulaient manger bio trouvaient une porte d’entrée via ce panier. Aujourd’hui, c’est le truc à la mode. Mais les jeunes entrepreneur·es qui veulent lancer un projet passent à côté du fondamental : les conditions de travail et de vie des producteurs·trices ».


Le plus de Pia…

« Ce que j’aime toujours rappeler aux gens, c’est qu’Agricovert c’est une coopérative à finalité sociale. Elle n’appartient à personne, elle appartient à tout le monde. C’est un projet collectif qui bénéficie à l’ensemble de la société. Toutes les personnes œuvrent à accroitre le bien commun. C’est pour cela que je suis coordinatrice de la coopérative. Je fais un travail qui nourrit autrement »

Pour aller plus loin : 

 

©Agricovert – Illustration des débuts avec Hochul Chantraine, un des fondateurs

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