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Plaidoyer Elections 2024 – La politique du logement à Vienne, une source d’inspiration?

politique du logement Vienne

Stefan Zweig a écrit : « Les idées n’ont pas véritablement de patrie sur terre, elles flottent dans l’air entre les peuples« . L’écrivain n’imaginait certainement pas, en rédigeant ces mots dans une des lettres écrites à un ami, que près d’un siècle plus tard, cette citation serait reprise pour évoquer l’inspiration suscitée par la politique du logement de la ville natale de l’auteur, Vienne. Une politique dont il a peut-être lui-même profité, il y a plus d’un siècle.

 

Depuis les années 1920, à l’exception de deux périodes (1934-1938 et 1939-1945), le SPÖ (parti social-démocrate d’Autriche) dirige la capitale, parfois en coalition avec d’autres partis. La longévité de cette configuration politique est probablement liée à la politique centenaire et pourtant très innovante du logement dans la ville. Il est d’autant plus étonnant que ce projet reste cantonné à la capitale et qu’elle n’ait pas essaimée ailleurs, dans le pays et bien au-delà.

 

Mais alors, quelle est cette spécificité viennoise? 62% des 1,8 millions d’habitants de la ville vivent dans une habitation à loyer modéré et la ville possède près de 400.000 logements. Si vous résidez à Vienne depuis plus de deux ans et que votre revenu est inférieur à 3.317,86[1] euros nets par mois, vous pouvez bénéficier d’un de ces appartements. Le fait que vos revenus aient récemment évolué ne vous oblige pas à quitter ce logement à loyer modéré. Pour payer cette politique, la ville impose un impôt sur la fortune qui n’a, jusqu’à présent, jamais été remis en cause et n’a pas fait fuir les riches de Vienne.

« L’actuel modèle viennois de logement s’appuie sur trois grandes politiques, soit, pour les nommer dans l’ordre chronologique :

  • la mise en place de subventions à des acteurs privés pour construire des logements dits «d’intérêt général» (Gemeinnützliche Bauvereinigungen,  GBV) qui, contrairement à ce qui se fait dans les autres Länder (régions administratives), sont uniquement locatifs et ne visent pas à permettre l’accession à la propriété;
  • la construction par la municipalité de logements attribués sur critères sociaux;
  • l’intégration des logements privés à but lucratif anciens (construits avant 1945) à la politique du logement social.

Ces trois politiques créent trois types de logements qui partagent le même mode de calcul des loyers. »[2]

 

Les logements mis en location doivent, dès le départ, respecter une liste de prescrits de qualité. Quel que soit votre revenu, un accès à des logements adéquats et adaptés est assuré, ce qui a un effet bénéfique sur la mixité sociale. De plus, cette politique va plus loin en favorisant le développement d’initiatives privées innovantes comme celui des habitats participatifs considérés comme le plus abouti au niveau au monde, le Wohnprojekt, où les habitants partagent également sept voitures, deux vélos-cargos, une buanderie… Elle cherche aussi à favoriser une lecture genrée de l’urbanisme, mais aussi plus inclusive de manière générale avec des quartiers dont les rues portent uniquement des noms de femmes, des trottoirs à la même hauteur que la rue…

Evidemment, tout n’est pas rose et de nombreuses entorses aux principes initiaux émaillent le projet global qui entravent l’accès au logement des plus précaires. Des changements ont été mis en place mais ne vont pas régler l’ensemble des problèmes. En 2020, les élections locales ont amené le SPÖ a changer de coalition, malgré une augmentation du nombre d’élus de cette coalition. Fini la présence des Verts, remplacés par le petit parti néolibéral NEOS.

Ce changement de coalition peut sembler anecdotique pour aborder ce sujet, mais il est, au contraire, incroyablement illustratif des différences idéologiques qui peuvent exister, y compris autour du logement. NEOS veut rompre avec la logique universaliste de la politique du logement où chacun peut prétendre avoir accès à un logement social. Il considère qu’il faut les attribuer sur des critères sociaux spécifiques comme des revenus très bas, une situation sociale précaire… qui peuvent être revus régulièrement.

 

Deux visions s’opposent ainsi. D’un côté, une politique sociale du logement s’apparentant, pour reprendre les mots d’une ancienne adjointe au maire de la ville, à une « sécurité sociale du logement » et, de l’autre côté, une politique assez classique du logement social. D’un côté, une politique collective où on limite la spéculation et on favorise la mixité et, de l’autre, une politique d’aide spécifique pour les personnes plus en difficulté, pas loin d’une approche inspirée par la charité plutôt que la solidarité.

 

Modération des loyers, mixité sociale, accès universel à des logements de qualité, mais aussi approche locative plutôt que de propriété… La vision viennoise est étonnante et inspirante. De nombreuses initiatives existent aussi en Belgique qui remettent en cause les modèles que nous connaissons. (Communa[3], les Community Land and trust, Passage…). La clé de la réussite du modèle autrichien réside dans l’implication politique sur les règles et les moyens alloués, mais aussi sur un soutien aux initiatives privées, surtout collectives, pour permettre au plus grand nombre l’accès à des logements de qualité à des prix modérés. Même dans un contexte de pressions européennes, les Viennois ne lâchent pas leur modèle social.

 

En Belgique aussi, une politique sociale du logement est possible et peut se construire avec les populations et avec de nombreux acteurs de l’économie sociale.

 

Joanne Clotuche – j.clotuche[@]saw-b.be

 

P.S.:  merci à Sarah De Laet qui nous a permis de découvrir ce modèle viennois en abordant ce sujet dans sa conférence gesticulée « J’habite, tu habites, ils spéculent« .

[1] Le salaire moyen des Viennois tourne autour des 2100€.

[2] Pour une vue générale sur la politique sociale du logement à Vienne, vous pouvez lire cet article qui retrace ses évolutions récentes GUILLAS-CAVAN Kevin, «Autriche. Le logement social à Vienne : un modèle original à la croisée des chemins», Chronique Internationale de l’IRES, 2021/1 (N° 173), p. 17-32. URL: https://www.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2021-1-page-17.htm

[3] Lire l’interview de Communa sur notre site.


Photo tirée des WIKIMEDIA COMMONS représentant le complexe Alterlaa à Vienne.

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